Islamophobie : haine, rejet d'un islam réduit à une essence maléfique alors que l'islam est de fait pluriel tant au niveau social, géographique, historique que culturel. Cette haine est alimentée par des préjugés et des stéréotypes négatifs qui, le plus souvent, pratiquent l'amalgame entre : "islam, arabe, musulman, islamiste, terroriste, intégriste" mais aussi entre culture et religion.
L'étymologie du mot peut prêter à confusion, "phobie" émanant du grec "phobos" qui signifie peur, effroi. L'islamophobie traduirait à ce titre une réaction de peur devant une menace perçue à tort ou à raison comme objective. En réalité, cette phobie relève bien d'une pathologie sociale comme l'agoraphobie est une pathologie individuelle. Autant un individu tente de maîtriser ce mal dont il est le premier à souffrir, autant une société se doit d'intervenir contre cette déviance qui agresse une partie de ses membres et mine les fondements d'une vie commune.
Il importe aussi de distinguer l'islam qui, comme toute religion, mérite respect - un respect qui dans une perspective démocratique, ouverte et laïque n'exclut ni le dialogue ni la critique - de l'islamisme qui instrumentalise le religieux à des fins politiques, idéologiques ou personnelles. Autant donc la critique de l'islam dans le cadre légal du respect est un droit, autant combattre l'islamisme dans ses visées terroristes relève d'un devoir. L'amalgame entre islam et islamisme, musulman et islamiste relève à ce titre d'une erreur intellectuelle doublée d'une faute morale, voire d'une incitation à la haine punissable par la loi.
Vincent Geisser dans son livre « La nouvelle islamophobie », reprend la définition proposée par le CECLR, mais ajoute: « L’islamophobie n’est pas simplement une transposition du racisme anti-arabe, anti-maghrébin et anti-jeunes de banlieue ; elle est une religiophobie. Certes, elle peut se combiner avec des formes de xénophobie plus traditionnelles, mais elle se déploie de manière autonome» Définition donnée par le MRAP dans le document « étude CNCDH sur l’Hostilité à l’Islam dans la société française, Remarques du MRAP portant sur certains aspect qui semblent les plus critiquables du texte » : « Pour le MRAP, au delà des aspects étymologiques partout soulignés, le mot « islamophobie » se rapporte à des manifestations de rejet et de « racisme anti-musulman ». Ceci ne vient en rien restreindre le droit de libre critique, sans anathème ni injure, de toute école de pensée ou de toute religion » « Pour une organisation comme le MRAP, cette nouvelle forme de racisme vient se surajouter et non se confondre avec le racisme anti-maghrébin hélas « classique » de type « colonial ». » Cette approche constitue un point de désaccord avec la CNCDH
Récusation du terme islamophobie par la CNCDH, dans l’étude du rapport 2003 de la CNCDH « l’hostilité à l’islam dans la société française » : « Cette notion ne semble pas avoir trouvé de définition précise et arrêtée et nous verrons qu’elle tend souvent à se confondre avec le racisme anti-maghrébin. » « Ils semble particulièrement difficile de circonscrire dans les faits « l’islamophobie », ce sentiment vient souvent se confondre avec d’autres ; « arabophobie », racisme anti-maghrébin. Pour certains, ces préjugés qui entourent l’islam ne sont bien souvent que de nouvelles justifications qui viennent se fondre dans des phénomènes anciens déjà connus de discrimination et de racisme. On observe bien un glissement sémantique. Le fait que cette « islamophobie » pèse principalement sur les personnes d’origine maghrébine, et non sur l’ensemble des musulmans étaye cette interprétation. On craignait et rejetait auparavant les « immigrés » puis les « Arabes » voilà maintenant qu’il s’agirait de « musulmans ». On constate également un glissement des graffitis : « de « Les arabes dehors » à « l’Islam dehors ! ».» « L’Islamophobie ne serait alors qu’un nouveau processus de légitimation de l’ethnicisation de l’autre (désignation raciale, l’arabe, et spirituelle, l’islamique) »
« La Commission a écarté l’utilisation du terme « islamophobie » dans son étude car ce terme prête trop à controverse. Elle a en effet jugé qua cette notion ne pouvait être convenablement cernée et que le rejet de la religion musulmane restait fortement lié en France au racisme patent qui frappe les personnes d’origine maghrébine plus que les autres. »
Récusation du terme par Caroline Fourrest et Fiametta Venner, dans leur livre « Tirs Croisés, la laïcité à l’épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman », Calmann Levy, 2003 : « …mêmes problèmes sémantiques que le terme d’islamophobie, à savoir confondre la dénonciation du racisme avec la dénonciation de toute parole visant à critiquer une religion » « Reconversion de la lutte anti-blasphème en lutte contre le racisme anti-religieux : elle semble avoir donné des idées aux intégristes musulmans, d’autant plus à l’aise pour s’approprier les arguments anti-racistes que les musulmans arabes sont eux effectivement victimes de racisme… Certains groupes cherchent à souscrire l’Islam à toute critique au nom de l’islamophobie » De plus, les auteurs dénoncent l’inefficacité de ce concept « face à la montée du racisme anti-musulman »
3. Polémique autour du terme islamophobie :
Comme le montre ces différentes approches du terme « islamophobie », les polémiques et critiques au sujet de cette notion s’articulent autour de thèmes :
1. Peut-on distinguer des actes purement islamophobes ?
2. La lutte anti-islamophobie permet-elle une critique laïque de l’Islam ?
1. Peut-on distinguer des actes purement islamophobes ?
Selon la CNCDH, « peu de faits, qui marqueraient une hostilité spécifique à l’encontre de la religion musulmane en tant que telle, sont susceptibles d’être retenus. L’auteur de violences à l’encontre d’un maghrébin n’a souvent lui même pas identifié clairement les préjugés qui le motivent au moment où il accomplit son délit, tout se mélange dans l’inconscient du « raciste ». […] rien n’indique bien souvent, chez la personne agressée, sa confession et ses pratiques religieuses. Le faciès reste l’élément courant de repérage social pour les racistes. » « Pourtant certains passages à l’acte marquent l’hostilité affichée de leurs auteurs vis à vis de l’islam en ce sens qu’ils visent de manière violente et sans méprise possible l’islam comme religion et les signes visibles du processus d’implantation du fait musulman dans la société française :
- Tracts anti-musulmans provenant de la mouvance extrême droite
- Tentatives d’incendie visant des lieux de culte
- Violences verbales ou physiques adressées à des personnes représentant l’Islam
- Des personnes ayant été l’objet de propos explicitement anti-musulmans. Les personnes laissant percevoir la nature de leur confession religieuse sont particulièrement visées (NB notamment les jeunes filles voilées)
- Des graffitis au contenu explicite ont été constatés »
Ces incidents correspondent à ceux relevés dans la liste des actes anti-maghrébins recensés par le Ministère de l’Intérieur, CNCDH, Rapport 2002.
Mais selon la CNCDH « Même dans certaines de ces circonstances « explicites » on ne peut écarter le fait qu’il peut s’agir de racisme anti-maghrébin « classique » qui viendrait aujourd’hui se manifester dans une forme anti-musulmane peut être davantage tolérée dans la société française. (NB CF impact du contexte international et du terrorisme islamiste) » « Par ailleurs, peut-on affirmer que ce type d’actes- qu’on ne qualifiait pas à l’époque « d’islamophobe »- n’existaient pas il y a par exemple dix ans de cela ? Est-ce la multiplication de ces actes et leur éventuelle normalisation qui légitime l’émergence de ce terme ? »
Ces considérations ne signifient pas pour la CNCDH qu’il n’existe pas une forme d’hostilité à la religion musulmane dans la société française ; le débat porte simplement sur le terme d’islamophobie et la possibilité d’appréhender des actes purement islamophobes qui ne s’apparenteraient pas à du racisme anti-maghrébin ou anti-arabe.
Mais la CNCDH s’oppose ici au MRAP (entre autres), qui insiste sur le fait que l’islamophobie est « un racisme qui prolonge et accentue le racisme anti-arabe », et est donc bien différentiable de ce dernier .
Lors de son intervention au FSE, le 15 novembre 2003, Mouloud Aounit expliquait : « L’islamophobie n’est pas une uniquement une vue de l’esprit : c’est aussi une série d’actes. De janvier 2001 à janvier 2003, nous avons pu recenser plus d’une vingtaine d’attaques de lieux de culte musulmans allant du simple jet de peinture bleu blanc rouge (Paris Melun Lille Nanterre Lyon, etc.), aux incendies et tentatives d’incendie volontaires (Alès-Le-grand, Belley, Annecy, Rieux le Pape, etc.) en passant par des jets de cocktail Molotov (Saint Etienne, Châlon en Champagne, Escaudain, etc.) et des plasticages de lieux de culte (essentiellement en Corse). Dans la même période, nous avons recensé aussi plusieurs envoie de colis piégés à des responsables associatifs musulmans (Perpignan, etc.). De plus, rien que pour la région parisienne, nous avons, au niveau du MRAP , déposé plus de 25 plaintes allant de l’injure à la violence physique contre les populations musulmanes. En outre, le passage à l’acte a été incontestablement encouragé par les sites Internet islamophobes… »
Les deux organisations s’accordent donc pour dénoncer une progression d’actes de racisme anti-musulman. Seule l’interprétation de ces actes diffère réellement :
Le MRAP soutient que « le vieux racisme anti-arabe qui se nourrit en France des souvenirs non assumés des guerres coloniales, prend aujourd’hui encore plus le visage d’une hostilité spécifique à la population d’origine ou de religion musulmane, qui a peu à peu reçu le nom d’islamophobie. », alors que la CNCDH, comme nous l’avons vu, tend davantage vers l’interprétation d’un racisme anti-musulman confondu avec un racisme « classique » anti-maghrébin.
2. La lutte anti-islamophobie permet-elle une critique laïque de l’Islam ?
Selon Caroline Fourrest et Fiammetta Venner, principales énonciatrices de cette thèse, le concept d’islamophobie, véhiculé au départ par des intégristes musulmans, servirait avant tout à museler toute critique laïque de l’Islam, et aiderait la lutte « anti-blasphème » des intégristes religieux.
Selon ces auteurs, « le mot « islamophobie n’aurait jamais connu un tel succès s’il ne correspondait pas à un besoin réel. En France, son emploi abusif semble tenir à deux facteurs ; la volonté d’utiliser un terme court pour pointer du doigt le risque d’un racisme anti-musulman et celle de s’inscrire en opposition au terme « judéophobie ». » Il est encore une fois incontestable que les populations musulmanes sont stigmatisées et victimes de racisme. Mais pour ces auteurs, l’emploi du mot islamophobie fait le jeu des intégristes parce qu’il se confond avec la dénonciation de toute parole visant à critiquer l’Islam comme religion. La lutte ne serait alors plus « anti-raciste », mais « anti-blasphème ». Pour elles, « À force de se confondre avec la lutte légitime contre le racisme anti-arabe, la lutte contre l’islamophobie agit comme un cheval de Troie qui affaiblit la laïcité ». Elles ajoutent que « museler la critique de l’Islam, même au nom de l’anti-racisme, apparaît d’autant plus indécent que l’on doit mesurer ce qu’elle coûte aux intellectuels arabes et musulmans vivant sous le joug de l’obscurantisme. » Le MRAP, répondant à cette critique du terme islamophobie, s’exprime ainsi : « Peut-on critiquer les religions et y compris l’Islam ? Notre réponse est oui. Nous revendiquons à cet égard haut et fort le droit à la formation de l’esprit critique, que seule l’école de la République peut permettre. Peut-on insulter les religions, et conséquemment les croyants, y compris musulmans ? Notre réponse est non. Y’a-t-il aujourd’hui des forces de rejet en France qui prolongent le racisme anti-arabe et qui visent les musulmans, en tant que tels, parce qu’ils sont musulmans ? Notre réponse est oui. » La question est donc de savoir si l’islamophobie se cantonne à une attitude raciste envers les musulmans, ou si elle s’apparente à une critique de la religion. Vincent Geisser définit cette notion comme une « religiophobie ». Le terme prête effectivement à confusion. Où se situe concrètement, pour ces chercheurs et intellectuels, la limite entre la critique de la religion et le rejet, voire la haine envers certaines personnes en raison de leur religion ?
Pour résumer, on peut affirmer que ces dernières années, la nécessité de la lutte contre le racisme visant des musulmans en France est une réalité. Mais l’emploi du terme islamophobie pour désigner ces nouvelles manifestations de racisme envers la population d’origine maghrébine de France (immigrée ou issue de l’immigration) est légitimement sujet à controverse, tout d’abord au regard de la nature même et du sens de ces attitudes racistes, et ensuite en raison de la portée idéologique et polémique du terme.
Notes:
Caroline Fourest et Fiametta Venner, in Tirs Croisés, la laïcité à l’épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman , Paris 2003, Calmann Levy
RAMADAN Tariq, « Immigrations, intégration et politiques de coopération. L’Islam d’Europe sort de l’isolement » Le Monde Diplomatique, avril 1998
TAGUIEFF P.A. « La nouvelle Judéophobie », Mille et une nuit, 2002
GEISSER V. « La Nouvelle islamophobie », La Découverte, 2003 « Islamophobie, mise au point », par Mouloud Aounit, Différences, janvier 2004
Différences, janvier 2004, M. Aounit
2007-02-18
17:04:09
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