Sacré Benveniste ..il nous aura bien fait rire
La mémoire de l'eau
Histoire d'une "découverte" !
"Une découverte française pourrait bouleverser les fondements de la physique : la mémoire de l'eau." Tel était le titre d'un article paraissant à la une du Monde en date du 29 juin 1988, avant que Nature ne titre également le 30 juin : "Human Basophil Triggered by very dilute antiserum against IgE" (Dégranulation de basophiles humains provoquée par de hautes dilutions d'antisérum anti-IgE). Si le titre de Nature n'est pas très explicite, celui du Monde faisait beaucoup plus l'effet d'un scoop, "les fondements de la physique bouleversés" ! On aurait pu croire qu'il s'agissait là d'une nouvelle découverte quantique, il n'en était rien : un chercheur français, le Docteur Jacques Benveniste, médecin et biologiste, directeur de l'unité 200 de l'INSERM, avait découvert que l'eau avait une "mémoire" et offrait par la même occasion enfin une explication "rationnelle" du fonctionnement sous-jacent de l'homéopathie, mettant un terme aux controverses et critiques sur son "efficacité" jusqu'ici uniquement attribuée à l'effet placebo.
En d'autres termes, le Dr Benveniste affirmait, études et expérimentations à la clé, qu'une dilution d'une substance dans de l'eau à des niveaux tels que plus une molécule de ladite substance ne soit présente, garderait ses caractéristiques grâce à la fameuse "mémoire de l'eau". L'eau serait capable de garder le "souvenir" de la structure moléculaire d'une substance qu'on a dilué. Comment ? Mystère, Benveniste ne l'a jamais véritablement expliqué ou du moins pas sans avoir recours à la magie (voir plus loin). L'expérience ayant permis au Dr Benveniste d'avoir les honneurs des journaux est celle du "Test de Dégranulation des Basophiles Humains", test d'ailleurs mis au point par Benveniste lui-même dans les années 1970, dont la finalité était de dépister les réactions allergiques, test refusé par l'Institut Pasteur en 1975 au motif que celui-ci n'était pas fiable, ce qui n'empêche pas Benveniste de le commercialiser via une société, Yris, dont il est actionnaire et administrateur.
Le Test
Le "Test de dégranulation des basophiles humains" repose sur (logique) la "dégranulation des basophiles", les basophiles sont des globules blancs contenant des granules porteurs de différentes molécules dont l'histamine (hormone intervenant notamment dans les réactions allergiques). L'histamine est donc libérée par les granules, eux-mêmes "largués" par les basophiles, lorsque ces derniers sont mis en présence d'agents allergènes (poussières, pollen, etc.). Le Test de Dégranulation des Basophiles Humains, in vitro, est réalisé par prélèvement de sang sur un individu, sang que l'on met en présence avec un allergène, résultat : les basophiles dégranulent (ils perdent leurs granules) montrant que l'individu est allergique à la substance. Pour détecter la dégranulation, Benveniste propose de colorer les basophiles qui, lorsqu'ils dégranulent, ne sont plus visibles au microscope alors que si aucune réaction ne se produit, ils restent visibles au microscope sous la forme de petites boules colorées (en fait ils se teintent lorsqu'ils ne dégranulent pas). Pour prouver la mémoire de l'eau, Benveniste, et son assistant Poitevin, vont utiliser un anticorps, l'Anti-IgE qui a la propriété de faire dégranuler tous les basophiles, qu'ils soient sensibles ou pas, et vont le porter à de très hautes dilutions dignes de celles de l'homéopathie (avec la succussion ad hoc), 18CH (centésimale Hahnemannienne), dans laquelle il ne pouvait plus rester une seule molécule d'Anti-IgE, or Benveniste et son assistant affirmèrent avoir obtenu des dégranulations à cette dilution de 18CH, invoquant la "mémoire de l'eau" ou une "action d'une autre nature que moléculaire" puisque plus une seule molécule d'Anti-IgE n'était présente pour participer à la réaction.
Le problème de l'efficacité du test, est que in vitro, les basophiles dégranulent a tout va et qu'en plus, ils ne sont pas assez visibles au microscope et il fallait augmenter leur concentration. Ajoutez à cela qu'en fait de dégranulation il s'agissait plutôt d'achromasie (qui n'est que le reflet d'une activité chimique sans dégagement d'histamine car si la dégranulation peut modifier les propriétés de coloration, l'inverse n'est pas toujours vrai), et vous aurez un parfait exemple d'expérience bancale dont le protocole est foireux. Sans oublier que les véritables "inspirateurs", peut-être vaut-il mieux dire "mécènes" de ces expériences étaient, cachés non sans arrière-pensées, les Laboratoires Boiron, hauts lieux de l'homéopathie, qui voyaient là le moyen de rendre l'homéopathie plus scientifique et moins magique grâce à la caution d'un chercheur de l'INSERM.
Les expériences
La revue Nature avait cependant mis une condition à la publication de la "découverte" de Benveniste, il fallait que ce dernier se soumette à une expérience qui sera réalisée en présence de James Randi, le célèbre sceptique et magicien américain, le Directeur de Nature lui-même et un groupe d'experts indépendants. Le protocole en aveugle ainsi mis en place par l'équipe, contrôlé par Randi avec toutes les précautions imaginables, fit que l'expérience ne renouvela pas les résultats de Benveniste et de son équipe, elles étaient nulles et le resteront. L'homéopathie perdit du même coup la crédibilité qu'elle comptait se racheter avec ces expériences (ce que les Laboratoires savaient parfaitement puisqu'une première série d'essais de dégranulation par le test Allergolam, très fiable celui-ci, et un protocole rigoureux, avait produit des résultats négatifs, ce qui poussa Boiron à se tourner vers Benveniste). La revue Nature accusa le coup et publia un rectificatif concluant : "L'hypothèse selon laquelle l'eau garderait la mémoire d'une substance qu'on y a diluée est aussi inutile que fantaisiste.". Mais trop tard, le mal était fait, Nature (et le Monde du même coup) s'était ridiculisé en publiant un article avant d'en avoir vérifié le contenu (ce ne sera pas la seule fois) cédant aux sirènes du scoop, tout le tapage médiatique de l'extraordinaire "nouvelle" fit certainement beaucoup plus de bruit que celle de son démenti.
Mais l'homme ne désarme pas, bien que convaincu de fraude, ou du moins de protocole hasardeux, il maintient que ses résultats sont exacts mais que la procédure de Nature n'est pas bonne, il affirmera plus tard que non seulement la mémoire d'une molécule se transmet dans l'eau (grâce à ses propriétés magico-ésotériques) mais qu'en plus elle peut se transmettre par télématique pouvant déboucher sur une thérapie par Internet (Science & Vie n°955 avril 1997 p.77-85). ! Son site Internet titre quant à lui : "De la "Mémoire de l'Eau" à la "Biologie Numérique"...", tout un programme ! " Il convaincra même un épidémiologiste de l'INSERM, Alfred Spira, de refaire les expériences de Nature qui seront positives cette fois-ci, et Spira de dire que pour prouver le phénomène il faudrait "travailler sur d'autres modèles, dans d'autres endroits."
Justement, Benveniste refusera toujours de vérifier sa formidable "découverte" sur d'autres modèles que son boiteux Test de dégranulation, en dosant l'histamine libérée par les basophiles par exemple ou d'autres moyens biochimiques, sans compter que puisque la mémoire de l'eau se veut un phénomène physique universel, on devrait pouvoir mesurer sa réalité par tout autre moyen que les globules blancs. Pourquoi s'en tenir aux seuls globules blancs ? Allez savoir... Le Docteur ne veut rien entendre, ce qui le décrédibilise encore plus. S'en suit toute la litanie habituelle du savant incompris, condamné parce que novateur et visionnaire, le syndrome Galilée dans toute sa splendeur, thème récurent, avec celui du Jésus persécuté puis adulé par la foule.
Plus tard, Benveniste proposera une théorie micro-macrocosmique faisant une analogie entre les trous noirs (et leurs propriétés) avec des "trous blancs" dans l'eau qui expliquerait la mémoire de l'eau, et la publiera. La magie et l'ésotérisme entrent en fanfare par la grande porte d'une théorie aux allures d'imposture scientifique. La mémoire de l'eau serait en fait un "vide blanc" ou plutôt un "trou blanc" formé (si on peut s'exprimer ainsi) par la disparition de la molécule du produit dilué (sic), ces "trous blancs" émettraient une onde électromagnétique faisant apparaître des hyperprotons (quid ?). Mais il ne s'arrête pas là : l'onde ainsi émise par une dilution homéopathique (avec ses secousses ou "succussions" bien entendu) serait susceptible d'être enregistrée sur un support magnétique puis transmise à de l'eau pure dans le but de la "dynamiser" à son tour, puis ensuite de dynamiser l'eau dynamisée, et ainsi de suite. Il s'agit de la guérison à distance évoquée plus haut. Arrivés à ce niveau, nous sommes au royaume des fées, des ectoplasmes ou de la cabbale. L'Office des Brevets, quant à lui, ne s'y est pas trompé puisqu'il a toujours refusé d'enregistrer les "inventions" de Benveniste et son "Procédé et dispositif de transmission sous forme de signal de l'activité biologique d'une matière porteuse à une autre matière porteuse, et de traitement d'un tel signal, et produit obtenu avec un tel procédé " malgré ses recours, et ce pour cause d'insuffisance de l'exposé !
L'entreprise de crétinisation du public qu'est cette fumeuse histoire de la mémoire de l'eau, sa récupération par les homéopathes et les laboratoires fabriquant ces pilules de sucre et d'eau, sombre d'autant plus dans le ridicule, et rend aussi inutile tout recours à l'homéopathie, si l'on prend en considération le fait que si l'eau a effectivement une "mémoire", nul besoin d'avoir recours aux charlatans et à leurs produits étant donné que celle-ci étant recyclée depuis des millénaires, passée par toutes les couches géologiques existantes, tous les végétaux et animaux possibles, elle doit bien être chargée d'ores et déjà de tous les composants existants sur Terre, dont ceux que les petites pilules sont sensées contenir et nous guérir de moult maux.
Le dernier acte de cette aventure est venu d'une scientifique, le Professeur Madeleine Ennis de l'Université Queen's de Belfast, qui aurait réussit à reproduire l'expérience en utilisant "une méthode de comptage des basophiles développée auparavant et qui pouvait être complètement automatisée, qui impliquait de marquer les basophiles activés avec un anticorps monoclonal, lequel pouvait être observé par une réaction de fluorescence, mesurée par une machine, résultat, publié dans Inflammation Research " (article du Guardian de 2001). Malheureusement pour le Pr Ennis, elle n'a jamais pu reproduire ses résultats et donc confirmer les assertions de Benveniste, ni apporter le dernier soupçon de crédibilité aux concepts homéopathiques.
Au delà de cette histoire malheureuse, il est légitime de se demander pourquoi un scientifique en vient ainsi à soutenir une hypothèse réfutée dans les faits et à continuer dans une voie qui ne mènera de toute façon nulle part. Certains argumenteront peut-être sur le fait que l'argent est ici aussi le nerf de le guerre, via les laboratoires homéopathiques désireux de rendre "scientifique" ce qui ne peut être considéré que comme magique, concluant que chez quelques personnes l'objectivité scientifique se monnaye. Les "disciples" de Benveniste (et ceux du paranormal), quant à eux, auront recours au vieux poncif du savant incompris, rejeté, mais dont les thèses seront plus tard reconnues et acceptées par toute la communauté scientifique. Citant à l'appui de leur argumentation les cas de Galilée (vu plus haut, le "syndrome Galilée" car c'est devenu un lieu commun) avec l'héliocentrisme, de Wegener et la dérive des continents, de Mayer et la conservation de l'énergie, Boltzman et la cinétique des gaz, etc. réclamant à corps et à cris un changement de paradigme. Ces derniers oublient trop souvent que même si certaines théories, acceptées, furent à l'origine rejetées par la communauté scientifique, l'immense majorité n'est jamais acceptée pour autant car trop farfelues. On a trop tendance (et souvent c'est volontaire de la part des tenants du paranormal) à ne retenir, ou a ne rappeler, que les cas positifs en oubliant la majorité des cas négatifs et qui le resteront à jamais. Comme beaucoup de théories un peu folles, celle de la mémoire de l'eau n'est pas en avance sur son temps et ne sera qu'un épisode, parmi d'autres moins "popularisés", de la vie scientifique (même si des intérêts financiers y étaient mêlés). En outre, en général, les théories rejetées puis ensuite agréées par les scientifiques, ne sont jamais connues ni jamais soutenues par le grand public, contre la communauté scientifique, pourquoi celle-ci le fut-elle ? A votre avis ?
Mais une autre hypothèse, plus psychologique celle-ci, pourrait entrer en scène : celle de la théorie de l'engagement chère à Joule et Beauvois. En effet, la théorie de l'engagement stipule que (comme son nom l'indique) plus on est engagé dans quelque-chose (un acte, une cause, etc) plus il est difficile d'en sortir et d'y mettre fin, plusieurs conditions doivent cependant être réunies (voir La soumission librement consentie, Jean Léon BEAUVOIS, Robert-Vincent JOULE) :
Il faut que la personne engagée soit libre (i.e. non contrainte)
Que les conséquences de son acte soient mises en relief
Que son acte ait un coût élevé (pas forcément financièrement)
Qu'il soit le plus visible possible, c'est-à-dire : qu'il soit public, que le caractère explicite de sa signification soit souligné, qu'aucun retour en arrière ne soit possible (ou qu'il soit difficile), que l'acte soit réalisé plusieurs fois.
Eviter toute justification d'ordre externe (pas plus de promesses de récompense que de menaces de punition)
Avancer une explication interne.
Lorsqu'on y regarde de plus près, l'histoire de la mémoire de l'eau et plus particulièrement celle de son "découvreur", rassemble presque toutes les conditions requises pour que l'engagement soit tel que Benveniste ne puisse plus revenir en arrière (celle de sa publicité étant à mon avis la plus importante), même s'il aurait dû se méfier dès le doute installé. La science n'étant pas dogmatique, quelques théories considérées comme farfelues ont ensuite été (très rarement) intégrées au vu des éléments apportés par la suite, rien n'étant figé pour l'éternité dans ce domaine. Malheureusement pour la mémoire de l'eau, le but semble-t-il était tout autre.
Reste sinon le désir de marquer l'histoire des sciences, d'être célèbre, reconnu, applaudi, et bien ici c'est réussit, dans une certaine mesure seulement, mais qu'il se console, les laboratoires homéopathiques eux aussi ont été ridicules dans cette affaire. Rappelons, pour finir, et pour ceux que les challenges excitent, qu'un million de dollars attendent toujours d'être gagnés par celui qui réussira à différencier une préparation homéopathique d'une autre non homéopathique, de quelque manière qui soit, comme le dit James Randi, auteur du challenge, c'est-à-dire par des moyens soit chimiques (analyse qualitative ou quantitative), soit biologiques (in vivo ou in vitro), soit physiques (polarisation, analyse spectrale, micoranalyse) ou métaphysiques (Tarots, intuition, auras, Kirlian, hasard, communication avec les esprits) ou tout autre moyen. Pour l'instant, et depuis qu'il a été instauré, personne, pas même dans la communauté homéopathe pourtant la mieux placée, n'a relevé le défi.
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2007-02-08 12:22:44
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answer #5
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answered by de_lege_feranda 4
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