Soudain il a jailli et ses pattes arrières
En labourant le sol projetaient la poussière,
Il se mouvait par bonds imprécis et nombreux
Libérant dans un trait ses fiers instincts fougueux.
Ignorant le calcul qui allait le contraindre
Il gaspillait ses forces que l’on verrait s’éteindre,
En cet instant trop court que le temps n’arrêtait
Le fauve jouissait de son plus beau portrait ;
Mais déjà il perçut des appels mesurés
Et entrevit, naïf, de brefs gestes dorés,
D’un saut il se livra à l’arme fugitive
Déçu de ne pouvoir en faire sa captive
Il sentit en son for, naître l’humiliation
Et doubla son effort, méprisant l’attention,
Il ne comprenait pas qu’ayant vaincu le vent
Combattu ses semblables en duels turbulents
Il ne venait à bout de ce leurre impalpable
Qui harcelait ses nerfs comme un taon exécrable,
Il tournoyait autour de cette ombre furtive
Qui enivrait ses sens voués à la dérive
Se grisait malgré tout de cette valse lente
Qui n’en finissait pas d’apaiser sa tourmente ;
Surpris il découvrit dans son champ de vision
Un étrange animal vêtu comme un espion ,
Reprenant ses esprits à la vue de ce traître
Il accourut vers lui, sentant sa foi renaître
Et enfonça ses cornes d’une telle puissance
Que des éclairs de feu jaillissaient en cadence ;
Arc bouté, muscles durs, il poussait dans sa nuit
Percevant au lointain un insolite bruit ;
Il fut victime alors de son premier malaise
Tandis qu’on le laissait respirer à son aise ;
Sur sa robe marbrée giclaient de noirs caillots
Dont les bulles éclataient comme de lourds sanglots ; Il savait maintenant qu’il devait s’engager
Dans le plus grand combat qu’un taureau peut forger
Peu importait le prix car l’honneur de sa race
Ne devait pas souffrir d’une telle menace ;
Gonflé d’orgueil il s’élança sans réfléchir
Vers ce fétu brillant qui ne cessait de fuir ;
Malgré ces deux harpons qui meurtrissaient sa chair
Mue par un désir fou sa tête fendait l’air,
Devant se profila la cape provocante,
Il crut en un instant pourfendre l’arrogante
Mais elle s’esquiva une nouvelle fois
Juste quand il frappa la barrière de bois ;
Il ne renonça pas et poursuivit sa lutte
Il entra dans la grâce esquissant des volutes
Que lui dictait celui qui freinait son allant
Dans un rythme épuré par le génie savant :
Majestueuses passes, sublimes naturelles,
Statuaires galbées, envolées irréelles,
Par sa caste il donnait à ce grand répertoire
Une autre dimension, une saveur de gloire,
En faisant don de lui il sauvait son honneur
Voilà ce qu’il pensait au milieu des clameurs ;
Le ventre secoué par des nausées terribles
Se voilèrent ses yeux, moment irréversible ;
Il devait donc mourir sur ce sol étranger ?
Cette idée familière venait le soulager,
Soit, il allait mourir comme seul sait le faire
Un taureau qui devient un taureau légendaire,
Il rassembla ses forces dans un ultime effort
Et offrit son élan à cet homme plus fort ;
L’épée, comme un serpent dans son corps a plongé
Tétanisant ses membres, le maintenant figé,
Sa bouche resta close, quelle belle décence !
Alors il chancela et mourut en silence.
Daniel BERNABÉ
2007-12-26
18:54:55
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demandé par
Jeanmi64
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Corrida