Arf, rien que d'y penser ça me fait mal...
C'était il ya euh... je dirais bien une dizaine d'années si ça ne me faisait pas prendre conscience que j'ai l'âge que j'ai....
Samedi midi, sortie de lycée, je viens d'avoir mon permis 125 et de terminer la remise en état de la Cagiva 125 Freccia que j'ai rachetée presque épave.
Je l'ai garée devant l'entrée principale, histoire d'être sûr que personne ne la loupe. Elle est rouge Ferrari, elle est énorme pour une 125, elle est belle, toute propre, rutilante, polishée avec amour des pneus à la bulle...
http://www.motomaster.fi/102_0213.jpg... (bon, c'est pas la mienne, la mienne avait des roues blanches, un gros pot chromé, un petit garde-boue avant élégant et à force de restauration elle était comme neuve, mais en gros c'est ça)
Tout le lycée est là, et c'est sûr qu'au milieu des 103, des booster, et autres brêlons improbables, ma Flèche italienne fait figure d'Esmeralda trônant au milieu de la cour des miracles. Et le meilleur, c'est que personne ne sait à qui elle est. Elle fait si grosse qu'on se demande si c'est pas à un prof ou à un pion, du coup personne ose monter dessus pour voir comment ça fait, mais putain c'est pas l'envie qui manque :) En tout cas, pas un n'irait imaginer que c'est la mienne. Moi, le discret, limite autiste, un peu premier de la classe mais pas trop, surtout pas en sport, à qui les filles n'adressent jamais la parole sauf pour me demander si j'ai déjà fait ma dissert de philo et si elle peuvent regarder pour voir comment j'ai fait, bref, moi le vilain petit canard je prépare mon envol de cygne magnifique, version cuir noir et acier rouge à la place des plumes blanches... Je sors donc du lycée, apprécie un instant, du haut des marches du perron, l'attroupement autour de mon fier destrier, qui hypnotise tout le monde pour l'instant, filles comme garçons. Je me concentre autant que je peux pour ressembler à Tom Cruise dans Top Gun quand je remonte la fermeture de mon cuir, puis me fraye un chemin dans la foule, casque (assorti à la moto) au bras, "pardon, pardon..." d'un air nonchalant, comme si je ne voyais pas que ma moto, et depuis un instant moi-même, étions le centre de l'attention générale. Les commentaires, discrets, fusent... "Naaaan, c'est à lui?!" "C'est pô vraiii ?" "C'est pas possible, tu savais qu'il faisait de la moto ?" D'autorité, je m'assieds sur la selle, la foule s'ouvre devant moi, pour l'instant tout se déroule comme dans un rêve... Dans une suite de gestes soigneusement préparés (oserai-je l'avouer : répétés), je relève le col de mon cuir, enfile d'abord mes gants, pose mes lunettes de soleil sur les compteurs, chausse mon casque, attache la jugulaire d'un air concentré, réajuste mes lunettes de soleil... hum... enlève mon gant droit, fouille dans la poche du jean, enlève l'autre gant, fait tomber le premier, trouve finallement les clés dans la poche de mon blouson, me penche pour ramasser mon gant, manque de faire tomber la moto, remet mes gants, un peu fébrile du coup. Bref, on y est, je n'ai presque rien perdu de ma superbe lors de ce petit contretemps. J'insère la clé, contact, essence ouverte, coupe-contact sur "Run", starter enclenché, point mort, témoin vert allumé, check list avant mise en route terminée. Pression sur le démarreur. "Djidjidjidjidjidjjjiiidjzz... -clock!-" Hm...
Silence dans la foule.... Déjà, quelques sourires se dessinent sur les lèvres des possesseurs de brêlons japonais qui marchent tout le temps, maudits soient-ils jusqu'à la 666ème génération. Revérification, re-pression sur le démarreur 'DjiKLAKdjiKLAKdjiKLAKLAK...
Je sens une division dans la foule autour de moi... Certains se désintéressent déjà, flairant l'affaire qui va se terminer les mains dans le cambouis, d'autres au contraire ne me quittent plus des yeux mais c'est l'amusement pur qui brillent maintenant dans leurs petits yeux cruels d'ados... Et des deux, je ne sais pas ce qui est le plus douloureux, de toute façon la magie est déjà brisée... A mi-voix, j'administre à ma moto une sévère bordée des injures les plus inavouables, me maudissant au passage de ne pas avoir pris Italien en LV2 histoire de lui dire ses quatre vérités dans sa langue natale, à cette saloperilla de puta de pseudo-Doucati de mes doués roustones. Dernier essai de démarreur, il faudra ensuite aviser, l'ambiance devient intenable ici...
"..... -klik-...." C'est tout.
Je rassemble ce qui me reste de dignité (ça me prend pas longtemps, déjà je suis pressé de me barrer et en plus il m'en restait pas lourd...) Je descend de la moto, affecte de prendre un air contrarié, voir courroucé, mais néanmoins fier, oubliant au passage qu'avec mon casque intégral et mes lunettes de soleil je pourrais aussi bien imiter Michel Leeb imitant la mouche ça changerait rien. Je me penche vers le moteur (entièrement masqué par le carénage, de toute façon), tripatouille à travers une ouïe d'aération tout ce qui peut se tripatouiller, mais d'un air expert, comme si je savais ce que je faisais.
Pendant ce temps-là, autour, ça rigole, ça commente à voix basse, mais plus aucun de ces commentaires ne me tirent des bouffées de fierté, je suis passé en quelques dizaines de secondes de Tom Cruise dans Top Gun à Bourvil dans le Corniaud, un rôle que je ne connais que trop bien, et qui ne relève chez moi d'aucun effort de composition, si vous voyez ce que je veux dire.
Ravalant toute fierté, je me relève, débéquille la moto, avise la rue en pente légère face au lycée qui devrait constituer une bonne piste de démarrage à la poussette, prend une grande inspiration, pousse très fort sur les guidons, et c'est au moment ou la moto s'immobilise brutalement après 5 cm de course que je me rends compte que je n'ai pas souvenance d'avoir enlevé l'antivol en U entravant la roue arrière... C'est également à ce moment que je réalise que certains sourires (sardoniques) dans la foule au moment de mes tentatives de démarrage infructueuses émanaient peut-être de vils mesquins qui avaient déjà repéré le beau U homologué FFMC qui me reliait à la grille du lycée, et n'attendaient que la gamelle inéluctable pour se repaître entre charognards de la dépouille de mon honneur, mise à terre par les dures lois de la physique...
Je me suis dit tout ça en une fraction de seconde, véridique, en un instant très court, en tout cas pas plus long que le temps qu'il m'a fallu pour sentir la moto partir se coucher à droite, réaliser qu'avec des guidons bracelets si bas on n'a absolument pas assez de force pour la retenir, que si on ne la lache pas tout de suite on va tomber avec, que effectivement il est bien tard pour la lacher, que bon bin là on est parti pour tomber avec, et que tiens bin voilà, comme ça c'est fait, je suis par terre, couché sur ma moto, dommage qu'on ne risque pas de mourir d'une chute comme ça, parce que là j'aurais été preneur pour le repose éternel, au moins le temps que le parvis du lycée se vide...
Mais bon, non, on ne meurt pas de ce genre de chute, pas même -et c'est dur- du ridicule qui l'accompagne. il m'a donc fallu assumer, relever la moto, enlever le U, les yeux fixés sur mes bottes, m'assurer une dernière fois que la voie était libre avant de partir enfin, au grand trot, poussant la moto qui devait être l'instrument de mon triomphe et qui, trahison prométhéenne, m'avait fait une fois de plus me couvrir de ridicule.
J'en aurais chialé. Sans déconner...
Mais bon,
la Cagiva, se rendant sans doute compte qu'elle avait été un peu loin, et estimant que la leçon d'humilité avait porté et était suffisante pour la journée, a accepté de démarrer en quelques mètres de poussette à peine... D'un saut léger et athlétique, je me retrouve en selle. Au bout de la rue, freinage, demi-tour, je repars enfin en direction de chez moi, poignée dans le coin. En repassant à 140 devant le lycée, j'ai bien vu (vite fait) encore des regards moqueurs, des gestes humiliants, mais quand même, il y en a aussi quelques-uns qui m'ont regardé passer avec un peu d'admiration, ou au moins de la jalousie, et ça a suffit à me consoler pour cette fois...
Par la suite, j'ai appris à connaître ma Freccia, ses sautes d'humeurs, les petits signes par lesquels elle me disait que nan, aujourd'hui elle avait pas envie d'y aller, ou au contraire qu'une petite ballade lui ferait le plus grand bien. Elle avait un caractère difficile, elle m'a laissé plus d'une fois en rade, mais elle m'a beaucoup apporté aussi... Et je ne parle pas seulement du plaisir de rouler, vite parfois (jusqu'à 160!), du bonheur de la boîte à 7 vitesse qui en plus de te muscler le gros orteil gauche te permet de tirer le meilleur parti des 35 chevaux de la belle dans les petites routes de montagne... Non, je parle aussi de ce que cette moto m'a apporté en tant que vecteur d'intégration sociale. En effet, tout le lycée n'était pas présent ce samedi maudit, et dans le tas de tous ceux qui n'avait pas assisté à mon auto-humiliation, y'en avait bien notament quelques-unes qui se sont par la suite laissées tenter par une ballade romantique dans les montagnes environnantes, la position de conduite "collé-serré" se chargeant souvent du reste...
Le topic a déjà été abordé dans Yahoo QR, je crois, mais au risque de passer pour un macho, je l'affirme :
Cette moto a fait plus pour ma vie sexuelle d'adolescent un peu à l'ouest que n'importe quoi d'autre n'aurait jamais pu faire, psy, fringues branchées ou belle gueule, rien.
Et oui, plus la moto est grosse, plus les filles s'y intéressent, et par suite au gars qui est dessus parfois... C'est en tout cas vrai à 16-17ans.
Surtout si elle est rouge.
La moto.
Si y'a un seul truc qui me manque aujourd'hui, avec ma BM, bin c'est bien ça, la frime primaire, les gens qui se retournent sur la moto, garée devant la terrasse du bistrot. Mais bon, entre temps, je me suis marié, et c'est surement pas de ma BM que ma femme est tombée amoureuse, ce qui ne nous empêche pas d'être très heureux... Y'a un temps pour tout. ;-)
2007-01-01 10:13:47
·
answer #5
·
answered by Raccoon 2
·
0⤊
0⤋