Le droit au compte bancaire a été ouvert aux plus démunis par la loi de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998. En principe, les étrangers en situation précaire, et notamment les sans-papiers, peuvent en bénéficier. En pratique, ils en sont souvent exclus.
La loi du 29 juillet 1998 de lutte contre les exclusions a consacré le droit au compte bancaire. Avant cette consécration, l’article 58 de la loi du 24 janvier 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, dite loi bancaire, avait posé les bases de ce droit. Il prévoyait que toute personne qui n’a aucun compte peut, après s’être vu refuser l’ouverture d’un compte de dépôt par plusieurs établissements de crédit, demander à la Banque de France de lui désigner un établissement, lequel pouvait limiter ses services aux opérations de caisse, c’est-à -dire aux versements et aux retraits de fonds.
La loi de 1998 est allée plus loin. Dans son chapitre consacré à la prévention de l’exclusion, elle introduit parmi les dispositions destinées à garantir des moyens d’existence, le droit au compte bancaire pour tous. L’article 137 de la loi de 1998, désormais codifié à l’article L 312-1 du code monétaire et financier, dispose que « toute personne physique résidant en France, dépourvue d’un compte de dépôt, a droit à l’ouverture d’un tel compte dans l’établissement de crédit de son choix ou auprès des services financiers de La Poste ou du Trésor public ». Il précise que le droit au compte s’applique aux interdits bancaires.
Les rapports parlementaires insistent sur l’avancée que constitue, sur le plan des principes, l’ouverture à tous de l’accès au compte. La détention d’un compte bancaire est « le support indispensable à la réalisation d’un certain nombre d’opérations, et son absence constitue un facteur de margina-lisation supplémentaire pour les personnes les plus en difficultés » [1]. Alors que la « dématérialisation » des procédures publiques et du versement des prestations est encouragée par les pouvoirs publics, l’absence de compte bancaire empêche ou rend plus difficile l’accès aux prestations sociales, et représente un obstacle pour percevoir un salaire au-delà d’un certain montant. En outre, elle empêche d’effectuer les démarches administratives qui nécessitent la présentation d’un RIB ou d’un RIP. Elle constitue donc un facteur important d’exclusion sociale.
Afin que le principe du droit au compte ne reste pas lettre morte, la loi précise les modalités d’ouverture du compte. Un seul refus de la part de l’établissement choisi suffit pour saisir la Banque de France. C’est par une déclaration sur l’honneur que le demandeur atteste qu’il ne dispose d’aucun compte. Dès lors que le demandeur dispose du refus écrit de l’établissement, il peut saisir la Banque de France afin qu’elle lui désigne soit un établissement de crédit, soit les services financiers de La Poste, soit ceux du Trésor public. La loi est sur ce point très claire. La Banque de France doit, dès lors qu’elle est « saisie », désigner un établissement qui ne peut pas refuser d’ouvrir le compte. Des dispositions sont prévues afin d’éviter que des comptes, aussitôt ouverts par des établissements de crédits dans le cadre du droit au compte ne soient rapidement clos.
Lorsque l’établissement de crédit désigné par la Banque de France décide de clôturer le compte, il doit envoyer une notification écrite et motivée au client et à la Banque de France pour information. Un délai minimum de quarante-cinq jours avant la clôture est obligatoirement accordé au titulaire du compte. Celui-ci s’adresse alors à la Banque de France pour qu’elle mette en Åuvre de nouveau le droit au compte. Restait à définir l’aspect le plus délicat : à quels services serait limitée l’utilisation du compte bancaire ?
Deux ans et demi de négociations entre les banques et les associations de consommateurs auront été nécessaires pour les définir. Ce n’est que le 18 janvier 2001 qu’est publiée au Journal officiel la liste des services bancaires de base auxquels ont accès les titulaires de compte [2]. Ces services sont exclusivement l’ouverture, la tenue et la clôture du compte ; un changement d’adresse par an ; la délivrance, à la demande, de relevés d’identité bancaire ou postale ; la domiciliation de virements bancaires ou postaux ; l’envoi mensuel d’un relevé des opérations ; la réalisation des opérations de caisse ; l’encaissement de chèques et de virements bancaires ou postaux ; les dépôts et les retraits d’espèces au guichet de l’organisme qui tient le compte ; les paiements par prélèvement, titre interbancaire de paiement ou virement bancaire ou postal ; des moyens de consultation à distance du solde du compte ; une carte de paiement à autorisation systématique, ou, à défaut, une carte de retrait autorisant des retraits hebdomadaires sur les distributeurs de billets de l’établissement ; deux formules de chèques de banque par mois ou des moyens de paiement équivalents offrant les mêmes services. L’émission de chèques et le droit au crédit sont exclus. Il est précisé que les personnes bénéficient de ces services bancaires sans contrepartie contributive de leur part. Le coût est intégralement pris en charge par la banque [3].
La loi garantit le droit au compte à toute personne « résidant en France », ce que la loi de 1984 ne précisait pas. A aucun moment, au cours des débats parlementaires, il n’a été question de restreindre ce droit en le conditionnant à la régularité de séjour du demandeur. Les débats se sont plutôt focalisés sur ce qu’allait impliquer la mise en Åuvre du droit au compte pour les banques. La loi a tenté de concilier deux principes qui ne vont pas toujours de pair : d’une part, la liberté commerciale des banques qui peuvent refuser l’ouverture d’un compte, et donc choisir leurs clients, et son corollaire la liberté tarifaire, d’autre part le droit pour toute personne démunie d’ouvrir un compte. En pratique, la mise en Åuvre du droit au compte rencontre plusieurs difficultés.
Les refus d’ouverture de compte bancaire pour des personnes démunies et notamment les étrangers en situation irrégulière sont fréquents, les banques exigeant, illégalement, la présentation d’un document ou d’un titre de séjour. Les associations signalent également que les banques examinent la nature du titre de séjour détenu par l’étranger et que les étrangers titulaires de titres de séjour précaires, voire ceux qui ne sont pas titulaires d’une carte de résident valable dix ans, se voient opposer un refus.
Or, l’article 33 du décret n° 92-456 du 22 mai 1992 prévoit que « le banquier doit, préalablement à l’ouverture d’un compte, vérifier le domicile et l’identité du postulant qui est tenu de présenter un document officiel portant sa photographie ». La personne qui demande l’ouverture d’un compte doit donc uniquement présenter un justificatif de domicile et un justificatif de son identité. La preuve de l’identité peut être rapportée par tout moyen, et justifier de son identité ne signifie pas justifier de sa situation régulière en France. Les réglementations internes des banques, qu’elles diffusent auprès de leurs agents, exigent souvent, à tort, la production d’un titre de séjour.
Déjà , en 2000, un député avait attiré l’attention du ministre de l’époque sur cette question, à propos d’une circulaire interne de La Poste exigeant des personnes de nationalité étrangère la production d’un titre de séjour ou d’un passeport revêtu d’un visa en cours de validité pour retirer un mandat. Le ministre avait alors répondu qu’en aucun cas un visa en cours de validité n’est exigé pour les opérations postales. « Ce document, qui n’est pas toujours obligatoire pour franchir les frontières, sert à vérifier la régularité de la présence de la personne sur le sol français, vérification qui n’incombe pas aux agents de La Poste » [4].
Le tribunal administratif de Paris statuant en référé le 16 mars 2005, et dont la décision est devenue définitive a, pour la première fois, rappelé que l’article L 312-1 du code monétaire et financier relatif au droit au compte ne prévoit pas que la désignation d’un établissement bancaire soit subordonnée à la régularité de séjour du demandeur. La Banque de France, qui fonde son refus de mettre en Åuvre le droit au compte sur une condition non prévue par le texte législatif applicable – l’absence de titre de séjour en cours de validité – entache sa décision d’erreur de droit (voir encadré « Les banques refusent les sans-papiers... »). Cette décision est un premier pas vers l’application effective du droit au compte pour tous, y compris pour les étrangers en situation irrégulière et pour ceux qui disposent d’un titre de séjour précaire. Toutes les difficultés ne sont pas pour autant résolues.
La procédure permettant l’ouverture d’un compte bancaire ne peut être mise en Åuvre par la Banque de France que si le demandeur présente un refus écrit de l’établissement. Dans un premier temps, il est fréquent que la demande d’ouverture de compte se déroule oralement. Le demandeur se rend à la banque et demande, lors d’en entretien ou directement au guichet, à ouvrir un compte. C’est aussi oralement que les banques opposent un refus.
Si l’établissement auprès duquel la demande est formulée n’est pas tenu d’accepter et n’est pas non plus obligé de justifier son refus, en revanche, il doit répondre par écrit dès lors que la demande d’ouverture de compte est présentée par écrit [5]. Cette procédure est d’ailleurs décrite dans une brochure éditée par la Fédération bancaire française : « Lorsque l’ouverture d’un compte vous a été refusée, vous devez alors renouveler votre demande par écrit auprès de la banque et demander qu’un écrit vous soit fourni en cas de refus d’ouverture de compte. Elle est alors légalement obligée de vous délivrer une attestation écrite de refus d’ouverture de compte » [6].
Cet écrit, dont on a évoqué le caractère indispensable, n’est pas toujours simple à obtenir. Des banques refusent tout simplement de le délivrer. Peut-être craignent-elles, si elles le délivrent, d’être ensuite désignées par la Banque de France comme « banque d’office » et de devoir ainsi proposer à ces nouveaux clients un certain nombre de services gratuits, alors qu’elles ont plutôt tendance à développer une politique de tarification les conduisant à facturer des services de plus en plus nombreux à leurs clients. Le guide édité par la Fédération bancaire française envisage ce refus persistant et conseille, dans ce cas, au demandeur d’en informer la succursale de la Banque de France la plus proche du domicile. En attendant, le temps passe et le demandeur ne dispose toujours pas de compte bancaire, alors qu’il devrait pouvoir toucher des prestations sociales, encaisser un chèque, fournir un RIB…
Les banques désignées dans le cadre du droit au compte semblent parfois réticentes à respecter les décisions de la Banque de France. Dans l’affaire qui a donné lieu à l’ordonnance du 16 mars 2005, il aura fallu quatre mois pour que cette décision soit respectée et que la banque désignée accepte – après une nouvelle intervention de la Banque de France et de l’association – d’ouvrir le compte. L’association Femmes de la Terre relate une autre affaire (voir encadré « ...et La Poste séquestre leur argent ») dans laquelle la banque désignée a, dans un premier temps, refusé indirectement d’appliquer la décision de la Banque de France en invoquant la compétence d’une autre agence plus proche du domicile de la personne concernée. Il faudra une nouvelle fois l’intervention de l’association pour que la décision soit appliquée. Ces affaires illustrent à quel point le soutien d’une association est indispensable pour faire valoir ce droit au compte et à quel point la loi bancaire et ses textes d’application sont parfois peu respectés par les établissements.
2006-10-13 13:27:42
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answer #4
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answered by Phil Hip 5
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