Merci pour votre question, chère madame de Staël.
Permettez moi de prélever dans cet excellent article un extrait qui me semble particulièrement pertinent.
"L'anxiété est un poison terrible pour le raisonnement, explique Nicole Catheline, psychiatre au centre hospitalier spécialisé Henri-Laborit à Poitiers. Et les élèves boucs émissaires ne comprennent pas les signaux que leur envoient leurs camarades. Ils n'y répondent pas de manière appropriée."
C'est au collège que les risques sont le plus grands. "Contrairement à l'école primaire, les adultes sont moins présents et régulent moins les relations des jeunes, explique le docteur Catheline. Par ailleurs, c'est au tout début de l'adolescence qu'on a un besoin très fort d'appartenance au groupe." Or, le bouc émissaire, c'est aussi celui qui soude le groupe contre sa différence. "Il ne s'agit pas seulement d'une question de fragilité individuelle, explique Anne Allemandou, médecin de l'éducation nationale. Et l'on pourrait prévenir certaines situations de boucs émissaires en ayant un meilleur climat dans les établissements."
Confrontée à ces situations d'élèves souffre-douleur, l'équipe éducative apparaît souvent démunie. "Il existe beaucoup de travaux sur le management des groupes, mais cette dimension n'est pas suffisamment prise en compte dans la formation des enseignants, qui reste centrée sur leur discipline", déplore le docteur Allemandou."
Tout d'abord, je tiens à vous rappeler que l'école est ce qu'on pourrait appeler une micro société. Les relations humaines y sont régies par le lien ET la loi. L'un et l'autre étant indispensables pour "vivre ensemble".
Le triangle dramatique est une réalité très courante dans les rapports humains et je peux confirmer que, chaque année arrivent dans les classes des enfants qui adoptent les comportements de "persécuteur" de "persécuté" ou de "sauveur". Et ce, dès la maternelle.
La citation de Nicole Catheline, psychiatre au centre hospitalier spécialisé Henri-Laborit à Poitiers est à cet égard tout à fait passionnante et très éclairante.
Et n'oubliez jamais que cela se produit aussi avec les adultes...
A l'école élémentaire, plusieurs facteurs permettent de "maîtriser" le phénomène, mais pas de le régler.
- la présence d'adulte,
- le rapport à l'autorité du maître,
- la capacité des enfants à accepter la parole de l'adulte, à réparer, à tourner la page.
Le problème n'est pas de faire accepter la loi, de la faire connaître et énoncer mais de la faire intérioriser, qu'elle devienne "naturelle" en quelque sorte.
Avec l'âge du collège et l'adolescence, les choses s'amplifient, s'ankystent. Les adultes sont moins nombreux, leurs interventions plus ponctuelles et les résistances des élèves à l'autorité de l'adulte plus grande.
A mon sens, dans les grandes lignes (car je ne suis pas professeur des lycées et collèges), un véritable travail d'équipe s'impose, une réflexion poussée et concertée car n'oublions jamais que le suicide est la seconde cause de mortalité chez les jeunes...
Quant aux accidents, très liés aux conduites à risques, cela relève souvent du même problème.
Je souhaiterais revenir sur l'école primaire et vous parler de ma pratique.
Notre équipe réfléchit en permanence au problème. Nous sommes sensibles à tous les signaux : souffrance d'un enfant qui peut être exprimée de bien des manières (attitude dépressive, perte d'appétit à apprendre, plaintes répétées ou mise à l'écart, jeux du "vaccin" dénoncé par les autres, témoignages d'autres élèves solidaires, rencontre avec les parents, etc.)
Lorsque le problème est détecté, nous croisons nos informations et mettons en place une politique d'urgence : parler avec l'élève et ceux qui sont concernés... déméler le fil, remettre les choses en perspective, nous alertons le réseau et nous rencontrons la ou les familles...
Car il faut savoir qu'à ce jeu, le persécuté d'aujourd'hui est parfois le persécuteur de demain. Dans ce terrible jeu du triangle dramatique (un des plus vieux et pervers qui soit) tout le monde peut se retrouver pris sans comprendre ce qui lui arrive. Lorsqu'on interroge finement les personnes, les persécuteurs se sont eux mêmes sentis bien souvent persécutés, ont parfois tenté d'être sauveur, et excédés, se sont retrouvés dans la peau du persécuteur...
Il faut sortir de l'analyse : c'est bien, c'est mal, y a les gentils et y a les méchants...je vous assure. Pour apporter une aide véritable à tous ces enfants et les empêcher de reproduire, de s'enferrer dans de tels rôles tout à fait destructeurs...
En ce qui concerne ma pratique de classe, j'ai des pistes de remédiation à mon sens tout à fait intéressantes :
- le travail autour du "vivre ensemble" dans la classe tourne autour d'axes se raccrochant à la réalité vécue par les enfants, tout en leur permettant de prendre de la distance, de construire du réflexif.
Les débats sont organisés en conséquence. Je mène les débats en permettant à chacun de pouvoir s'exprimer, d'être écouté dans le respect et la sérénité. On y apprend à éviter les jugements de valeurs, à connaitre et maîtriser ses émotions. Aucun sujet n'y est tabou : nous avons longtemps travaillé sur le respect de l'intimité, sur les toilettes qui sont le lieu de tous les dangers à l'école.
- les ateliers philo qui sont des lieux de construction de la pensée permettent aux enfants de s'exprimer librement et sans aucun jugement. Je pourrai en parler sur le site d'ailleurs. Mardi, j'en ai organisé un en présence d'enseignants roumains (dont un professeur de philosophie) autour de la question : "qu'est ce que la violence ?"
Réponse d'une élève : "la violence, c'est naturelle, elle est en nous. ça nous entraîne à être violent avec les autres..." (elle a huit ans.)
- les autres activités sont menées dans cet état d'esprit. Les procédures sont analysées, le statut de l'erreur y est reconnu comme source d'enrichissement. (débats littéraires, grammaire, mathématiques, démarche scientifiques, EPS, arts plastiques, histoire,géographie, etc...toutes les activités sont mises à contribution pour permettre à chacun d'avancer à son rythme...)
Enfin, je terminerai en vous parlant de mon expérience de formatrice : j'interviens dans ce que l'on appelle "l'analyse de la pratique" et qui est justement la possibilité pour les stagiaires de mettre à plat, à travers l'analyse d'une situation vécue, de leurs difficultés. Et ce dont vous parlez en relève.
Malheureusement, c'est encore une activité très pauvrement pourvue. Il faut dire qu'il faut des années pour former des intervenants et que ce n'est pas assez pris au sérieux par nos instances dirigeantes alors que c'est courant pour les métiers de la santé et du social.
Il est temps que les choses avancent...
Pour ma part, c'est mon combat de chaque jour.
2007-12-12 00:07:26
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answer #1
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answered by ♫♪Shah شهرزاد 7
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