La fascination que la monnaie exerce le plus souvent, la répulsion qu'elle suscite parfois, lui donnent un mystère qui la ravit à l'analyse et la transporte dans le domaine des passions et du discours autosuffisant.
Un économiste se doit de ramener cette monnaie dans son univers quotidien où elle remplit ses fonctions de moyen de paiement présent et futur, d’unité de compte et de réserve de valeur. Mais, même à ce niveau du concret et du mécanisme économique, l'actif monétaire reste extraordinaire à plusieurs titres. Les conditions de sa production sont atypiques, comme l'est la logique de son accumulation, comme l'est l'articulation de son offre et de sa demande.
Depuis la loi de Gresham, qui résume un constat empirique, selon laquelle « La mauvaise monnaie chasse la bonne », peu d’observations relatives à la monnaie trouvent une adhésion aussi unanime.
Deux concepts peuvent nous éclairer sur le phénomène d’attraction et de répulsion de la monnaie : la notion de la confiance et la théorie du mimétisme.
1) La notion de la confiance
La théorie économique rationnelle a du mal à rendre compte de la notion de la confiance.
Nombre de situations où intervient la confiance se présentent comme le modèle simplifié suivant :
A peut faire avec B une transaction qui lui rapporte 15 et qui coûte 5 à B ; après avoir fait cette transaction, A et B pourront en faire une autre qui coûte 5 à A et rapporte 15 à B.
Après ces deux transactions, chacun aura donc gagné 10. A va donc proposer la première transaction à B en lui promettant qu'il participera à la deuxième. Mais comment B peut-il penser que A, après la première transaction, acceptera la seconde transaction ?
Etre rationnel, selon une vision étroite et rigoureuse de la rationalité, il ne le peut pas : plutôt que de perdre 5, il est rationnel que B refuse la première transaction.
Il ne s'agit pas ici d'invoquer une quelconque duplicité de A. La difficulté sera levée si A a les moyens de convaincre B que celui-ci peut lui faire confiance.
2) La théorie du mimétisme
La théorie du mimétisme de René Girard peut être éclairante. Au plan logique, tout se passe comme si s'était engagé un processus où chacun cherche à accumuler un bien qui est demandé par les autres ; chacun donc s'observe et choisit ce que les autres choisissent. Le bien qui en émerge est désigné comme monnaie (par définition de la monnaie).
Selon cette analyse, la monnaie ne serait donc absolument pas un moyen créé pour faciliter les échanges de biens, comme il est classiquement supposé ; au contraire, les échanges sont là pour créer et faire circuler la monnaie et permettre son accumulation, moyen par lequel chacun recherche sa sécurité à venir.
L'économie conçoit très peu ce passage d'un bien du statut de bien banal à celui de bien "élu" par un processus mimétique (à l'exception de Marx qui, dans le chapitre premier du Capital sur la marchandise, met en scène de façon saisissante un tel processus, de nature quasi-religieuse); elle ne comprend pas mieux les conditions à réunir pour qu'il conserve ce statut : pour le comprendre, mieux vaut réfléchir en effet sur les composantes et les conditions de la confiance.
Voilà donc la monnaie résultat d'un processus d'élection-répulsion, processus par lequel l'unité d'un groupe social est assurée par le choix qu'effectuent de façon convergente tous les membres de ce groupe, l'être choisi étant ainsi distingué, donc exclu de l'ensemble des êtres de même nature : parmi les hommes, ce sera le bouc émissaire par exemple, parmi les biens, la monnaie. Cet être ne doit son statut spécial, essentiel à la vie du groupe, qu'au choix qui a été fait de lui, un choix non raisonné. C'est en cela que l'on peut dire que la monnaie est une forme objectivée de la totalité sociale.
2007-11-25 02:33:57
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answer #1
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answered by Aigle de Carthage 7
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