"La Cigale et la fourmi" (Version sans la lettre E)
Un grillon plus la fourmi (Johannus Fontis n’avait pas tout dit)
Un grillon qui chanta tandis qu’il faisait chaud fut plutôt mal pris quand vint la saison du frimas, car un matin, ouvrant son frigo, il constata – damnation ! - qu’il n’y avait plus là qu’un artichaut tout rikiki, pas râgoutant pour un sou car pourri jusqu’à l’os, dont la consommation, à coup sûr, lui aurait valu tout à la fois un zona, la malaria, un psoriasis fatal, si pas un anthrax fulgurant ou un sida galopant.
Il fouilla sa maison du haut jusqu’au bas, son hall, son living, son salon, son boudoir, son silo à grain, son studio, mais il n’y trouva pas un radis, pas un kiwi, ni maïs ni oignon, ni salami ni saucisson, niks nothing schnoll nada. Il scruta sous son tapis, sous son lit, dans son bahut, y comptant voir au moins un grain, un croûton, un quignon, un biscuit… mais non. N’avait pu rin di tô !
Il n’abdiqua pourtant pas aussi tôt car il avait du cran. Il courut au fond du jardin - il n’y poussait plus ni abricots ni haricots - dans un cabanon où il planquait son attirail d’outils, mais aussi, à l’occasion, du vin, du chocolat, du gouda ou du Boursin. Mais ici non plus, ni chair ni pain pour lui fournir sa nutrition. Il s’abandonna donc à la constatation du mauvais sort qui avait fondu sur lui : il n’avait plus aucun plat pour assouvir la faim qui l’avait saisi.
Sa raison vacilla. Avisant son jabot qui gargouillait, il s’imaginait dans un futur oh ! pas si lointain, pris par l’inanition, tout amaigri par la privation d’apport vitaminal, gisant alangui sur son lit, assailli par maints visions d’abomination. Dans son coma abyssal, il vit un tas d’os qui s’approchait, s’articulant dans un tohu-bohu grinçant, ainsi qu’un pantin inhumain qu’on aurait cru tout droit sorti d’un Goya, d’un Dali, d’un Miro ou d’un Duchamp. Il voyait la Mort qui marchait à lui d’un pas lourd sous un gros drap noir puant, un rictus horrifiant au groin, dans un bruit assourdissant qui trouait son tympan, un son suraigu qui lui vrillait son ciboulot jusqu’au plus profond, un son sans nom qui lui ôtait la raison, un son qu’il savait, sans jamais l’avoir ouï auparavant, produit par la mort aiguisant la faux qui dans un instant s’abattrait sur son cou.
Il sursauta, s’arrachant à son hallucination. Il lui fallait agir au plus tôt.
« Qui donc ici pourrait m’offrir ma rata durant six mois ? La fourmi, pardi ! ».
Or, l’habitation où vivait la fourmi jouxtait son logis.
Il y alla illico, sonna à son huis : « Ding dong ! »
Il avait du bol, la fourmi, qui tricotait dans son salon sans la radio, lui ouvrit.
Alors il tomba au sol pour s'y aplatir en glapissant : « Du pain siouplaît, du pain, du vin aussi, pour l’amour d’Allah Tout-Puissant ! Sinon ton voisin grillon va mourrrrîîîîîir ! »
La fourmi, qui connaissait son lascar, puis qui n’avait pas du tout l’air d’avoir du souci pour lui, fit « toc-toc » d’un doigt sur son front, signifiant ainsi à l’intrus qu’il divaguait.
Voyant qu’il avait l’air un brin cucul, l’ami grillon adopta un air plus congru, abandonnant son ton larmoyant : « Chuis dans un trou noir noir noir, là. T’as pas pour moi un rutabaga, du saumon, un potiron? J’ai plus un radis, plus un franc pour l’instant, mais j’aurai du pognon frais à la fin avril, donc toi tu auras ton capital à la mi-mai, assorti d’un bonus, promis. »
Las pour lui, la fourmi n’a pas la compassion du Dalaï-Lama. Connaît-on ici-bas un animal aussi parfait (lama hormis) qu’il irait tout droit au paradis sans absolution? Non, il n’y a aucun saint parmi nos amis animaux. Qui dit paradis dit pas radin, mais la loi d'ici-bas dit plutôt: " Chacun pour soi " . Voilà.
Haussant la voix, la fourmi, qui bouillait, ou pas loin, lui dit alors d’un ton sifflant:
"Dis donc, mon gars, t’as un culot colossal, toi. On t’a pas vu ici durant six mois, on a tondu ton jardin, on a mis du produit anti-corrosion sur ta Skoda, un anti-moussant sur ton toît, on a blanchi ton trottoir, tout ça. Nous, ici, on bossait pour toi ! Toi, là-bas au loin, tu nous laissa sans un mail, sans un sms, sans un fax ! Puis tout à coup, hop, abracadabra, tu apparais ici, puis tu fais ton martyr pour avoir du pain ? Mais qu’as-tu donc fait durant la saison où bronzait la population ? »
L’ami grillon sautant sur l’occasion, fit son fanfaron. Affichant un faux air contrit qui cachait mal son gros cou, il raconta à la fourmi son soi-disant boulot du mois d’août : « J’allai du Nord au Sud dans maints pays, accompagnant mon boys band qui cartonnait. Sur un giga-podium, dix-huit musicos, trois D-J, animations 3D, un show qui trouait son cul à un public abasourdi tout acquis à nous.
Dans la play-list on avait mis du Johnny, du Barbara, du Moby, du Clo-Clo, du Patrick Fiori, du Brandt (non point l’outil à hublot où tu fous ton bidon d’Omo puis ton T-shirt afin qu’il soit plus blanc qu’avant, mais un play-boy poilu qui chantait : « Qui saura, qui saura… »), du Hardy, du Branduardi (ndla : du Brandt + du Hardy = du Branduardi, humour !), du Dassin (son « Tagada, tagada » qu’il consacra au gang Dalton). On jouait aussi Bambino (un hit à Dalida), du Salvador (« Juanita Banana »), trois chansons à Nirvana (dont « Lithium »), puis du Mozart (« Alla Turca »), du Strauss, du Chopin pour la fin du show….
Partout on nous voulait ; on a fait un tabac à Paris, à Strasbourg, à Madrid, à Milan, Munich, Hambourg, Oslo, Rio, Sao Paulo, Tokyo, Corfou, Washington, Chicago, Moscou, Vladivostock… On triomphait partout, quoi.
Moi là-n’dans, j’ai fait la star car j’y vocalisais, sous l’illumination d’un light-show ahurissant (dix spots sur moi à tout instant), sous l’ovation d’un public qui vibrait à ma voix d'alto. La sono crachait à donf un son qui fissura plus d'un plafond, ça hurlait un max. J’offris à mon public transi d’admiration mon amour, mon glamour, mon tonus, mon chant parfait -sans couac- qui culminait à l’absolu total du top du gratin. A mon fan-club (plus d'un million d’inscrits) j’ai fait don du walhalla, du nirvana, du paradis, quoi.
Voilà. »
Tandis qu’il finissait son laïus, il vit la fourmi, l’air narquois, un hanap à la main: « Un Martini, Pavarotti ? Tu chantais? Ca fait plaisir à savoir, sais-tu. Mais aujourd’hui, si tu dansais plutôt la samba? »
2007-03-24 09:41:32
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answer #3
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answered by ☰NIBBLER☰ 6
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