Jéjé (re)bonjour,et merci de ta question.
Avis aux courageux, ce que j'ai à dire est long. Mais la cocotte-minute est bien remplie, et là il faut vraiment que ça sorte...
Je te réponds sans regarder les autres réponses (que je lirai ensuite) afin d'être là-dessus "brut de décoffrage". Ma réponse a peut-être une valeur particulière... pour la bonne raison que JE SUIS moi-même enseignant (et crois-moi, il faut avoir du courage pour l'afficher sans honte dans les circonstances présentes)
Figure-toi que bien que faisant partie de ce corps de métier (je suis prof d'Histoire-Géo en collège, et j'ai commencé d'enseigner en 1978), je suis actuellement SCANDALISE par cette énième grève des enseignants, et j'aimerais te dire pourquoi.
D'abord, un mot sur ma pomme. En tant que prof, je ne me suis jamais syndiqué, estimant (à tort ou à raison) que ne pas me syndiquer, c'était d'une certaine façon conserver mon indépendance.
Bien m'en a pris du reste, car comme non syndiqué, je reçois sans le demander dès que je change d'échelon (nous avons 11 degrés sur notre échelle indiciaire de salaire) des renseignements émanant de divers syndicats qui espèrent tous que je vais les rejoindre, ébaubi et reconnaissant de leur courrier d'informations... Peine perdue, je m'en tape complètement !
Bien que non syndiqué, j'ai pris la peine de me tenir au courant, au fil des années, des motifs de revendications des syndicats enseignants (qui ne représentent, il faut le préciser que 12% du total des profs, ce qui est très peu) et comme dans 9 cas sur 10, la litanie consistant à réclamer "PLUS DE MOYENS" revenait invariablement à l'affiche, je m'en suis vite lassé, pour ne pas dire dégoûté.
On a beau injecter de l'argent dans l'Education Nationale, elle continue de marcher aussi bien qu'une voiture d'un autre âge, mal réglée et pétaradante, et injecter des "moyens" (c'est-à-dire l'argent du contribuable) n'y change strictement rien, vu que ce sont les blocages IDEOLOGIQUES (serrés comme un gouvernement Chinois, et dont les Gardiens du Temple SONT les syndicats) qui la freinent, la musèlent et l'empêchent d'évoluer.
Fort de ce raisonnement, je me suis toujours refusé à faire grève. Parfois, quand elle était beaucoup suivie (il arrive que plus de 60% des enseignants d'un collège suivent une grève), je venais quand même, et j'étais considéré comme un "réac", un "jaune" ! Les profs discutent entre eux très peu de politique, tu sais, mais ils finissent par s'acoquiner en fonction de leurs affinités bien sûr, mais aussi (un peu) de leurs options politico-syndicales (encore que certains esprits ouverts puissent surseoir à ces clivages, mais ils ne sont pas si fréquents). Donc, moi, le réac, je ne faisais JAMAIS grève.
C'était connu. Mes élèves, d'années en année, quand ils venaient me voir avant la prochaine grève dont ils venaient (les yeux brillants d'espoir) d'apprendre l'annonce, ne se faisaient guère d'illusion, et au lieu de me demander : "M'sieu, vous faites grève, Mardi ?", ils employaient plutôt la formule déjà à moitié désabusée : "Euuhh, M'sieu, vous la faites pas, hein, la grève de Mardi ?"
Et je leur répondais avec un grand sourire : "Non, mon petit. Je vous aime trop pour vous laisser seuls ! " (ce qui en général, les fait rire, car les gosses sont pleins d'humour, et ils ne cherchent pas à savoir ce qui motive les adultes, c'est surtout la façon dont on leur parle qui compte pour eux)
Un matin de grève (anecdote savoureuse) , panne de réveil : ça ne m'arive que rarissimement, mais là, catastrophe, j'émerge à 10h (alors que j'ai cours à 8h30) et je me dis : "Ducon, tu t'es pas réveillé !". Un café plus tard, ayant un peu émergé, je réalise que c'est un jour de énième grève, et je me rassérène (relativement hein, je n'étais pas fier pour autant) en me disant que "ça pourra toujours passer" !
Le lendemain matin, je me pointe, et tombe à l'entrée du collège sur le principal, qui me regarde sous le nez d'un air intrigué, et me dit : "Ca va, Monsieur Roverdream ?" Il ne me posait jamais la question, et je lui réponds : "Oui, bien sûr, Monsieur le Principal, pourquoi cette question ?" Après un instant de flottement, il enchaîne d'un air dégagé : "Euuhh, vous n'étiez pas là, hier ?" Et moi, superbe, prenant l'air soucieux des militants, je lui rétorque d'un ton convaincu : "Non, non... Solidarité avec mes camarades !" Il en est resté scotché sur place, et ne m'a rien répondu.
Donc, jamais de grève pour Bibi. Mais figure-toi qu'avec le temps (et la multiplication des grèves) on a certains parents qui finissent par autoriser leurs enfants, lorsqu'ils ont mettons 5 profs dans la journée, dont 3 ont annoncé qu'ils feraient grève, à NE PAS VENIR en cours ! (il faut dire à leur décharge que venir pour 2 heures, et rester à glander le reste du temps dans des permanences surchargées ne présente pas un grand intérêt pour les élèves, cela j'en conviens volontiers)...
Donc, dans les années 2002 et 2003, je me suis régulièrement retrouvé (dans le collège proche de Chantilly où j'enseigne) avec des classes de 25 élèves, dont 9 ou 10 seulement étaient ce jour-là PRESENTS à mon cours ! "M'sieu, on fait pas cours là, quand même ?..." Et comme je faisais cours (après avoir pris 10 minutes pour noter les absents en deux exemplaires - vive l'administration) le cours suivant, si par malheur il y avait un DS prévu (devoir surveillé) c'était bien sûr la panique : "Mais comment on pouvait l'savoir, M'sieu, qu'y avait un devoir, eeehhh ?"
Je suis resté inflexible, mais l'année suivante, les élèves "grévistes" (je ne vois pas de quel autre mot les désigner, puisqu'ils le devenaient de fait) qui jusque là trouvaient des excuses bidon style "réunion de famille" ou "mal de ventre", etc. se sont mis à me présenter des billets bien francs et carrés, avec pour motif de l'absence le mot GREVE !
Le Bureau de la Vie Scolaire, à qui je vais demander qu'est-ce que c'est que ce motif baroque, me rétorque : "Eh, ils disent la vérité ! Que veux-tu qu'on mette d'autre ?" Voilà, tout d'un coup c'est moi, le prof non-gréviste, qui me trouvais en tort si mes élèves ne venaient pas à mon cours. Certains, forts de cette jurisprudence tartignolle, se sont même mis à me prendre de très haut quand j'ai voulu persister dans ma progression normale.
Alors, écoeuré, j'ai adopté UNE ANNE DURANT (l'année 2005) le comportement moutonnier de la plupart de mes collègues, et plutôt que d'être pris à partie par des élèves me reprochant d'avoir fait cours normalement (puisque excusés ensuite du mot magique "GREVE" inscrit sur leur carnet), j'ai carrément décidé de faire TOUTES les GREVES !
Il y avait du boulot, vous pouvez m'en croire... Bien sûr j'ai expliqué aux élèves (et aux parents, d'un mot imprimé) les raisons particulières qui me poussaient à agir de la sorte. Mais je suis devenu un PROGRESSISTE enragé, un ROUGE de chez rouge, un Che Guevara le poing levé, et dès qu'une grève se pointait, je hurlais "No pasaraaaaaaaaaaan ! " ou "Venceremooos !", en montant sur une table...
Je n'ai tenu qu'un an, savourant avec la honte de la mauvaise action ces journées où je bullais chez moi, en tentant de rentabiliser ma journée (les occupations ne me manquent jamais, je vous rassure) et en regardant du coin de l'oeil, à la fin du mois, ma feuille de paie logiquement amputé des journées chômées. Comme cela n'a rien déclenché (car j'avais fait part à l'administration de mon profond désaccord sur l'admission de fait du droit de suivisme des élèves en cas de grève) j'ai laissé tomber, et j'ai repris ma façon de faire antérieure en 2006-2007.
Tout cela pour te dire (et pour conclure) que je ne vais pas mâcher mes mots. Le corps enseignant jouit d'une image déplorable, qui n'est pas volée, pour plusieurs raisons conjuguées.
1) Les avantages du métier sont énormes (vacances, sécurité de l'emploi, retraites correctes, couverture sociale en béton en cas d'arrêt de travail) et comme il n'existe aucune sanction autre que financière en cas de grève, les profs en abusent consciencieusement pour s'associer à toutes les revendications syndicales qui se présentent quand ils ont "envie de souffler"
2) Certains sont mauvais, n'arrivent pas à faire cours, finissent par enseigner par-dessous la jambe, et ne sont pas sanctionnés (excellent reportage hier soir tard là-dessus, sur la 2, dans l'émission de Benoit Duquesne "Complément d'Enquête" qui avait pour thème "Les Abus de l'Etat") car les inspecteurs, après un ou deux mauvais rapports d'inspection n'ayant pour seul effet que de retarder légèrement la progression de l'échelle dont j'ai parlé au début, ne peuvent plus RIEN FAIRE... Et l'enseignant incapable, lui, il reste en place...
On en revient à un système à la soviétique, où dans les kolkhozes, on laissait ronfler derrière la meule de foin Popov-le-poivrot ivre de sa vodka matinale, sachant que le salaire final serait le même pour tous, de toutes façons...
Alors Jéjé, je comprends ta colère. Et comme je suis aussi parent d'élève, ça m'aide à garder intacte mon indignation. Mais que veux-tu qu'on fasse, au juste ? Tu demandes à juste raison à la fin de ta question (à laquelle je m'excuse d'avoir répondu aussi longuement) "Doit-on supporter ça encore longtemps ?" Et j'ai envie de te répondre, rien que pour t'énerver un peu plus : "OUI !"
Tu as sans doute jeté un coup d'oeil sur les programmes des candidats à la présidentielle, comme moi. As-tu vu quelque part quelque chose du genre : "SUPPRESSION du droit de grève pour TOUS les fonctionnaires sans exception" ? Cherche bien, même dans les programmes les plus extrêmes, cela n'y figure pas. Un fonctionnaire est intouchable. C'est bien connu, ils descendent massivement dans la rue dès qu'on touche à leurs "acquis sociaux".
L'acquis social, en France, est un organe vital. Si on y touche (c'est un peu comme le cerveau pour un chirurgien), c'est le chirurgien qui décède très rapidement, personne ne sait pourquoi. Donc on ne s'y risque même plus. La fois dernière (sous une autre forme il est vrai, mais voisine tout de même), le CPE (appliqué en Allemagne sans problèmes) en a fait les frais, et il s'en est fallu de très peu que le gouvernement saute à cause de cela. Villepin s'y est grillé ses élégants favoris gris, il ne lui reste que son sourire et ses pectoraux à montrer aux Guignols.
On devrait créer un badge que les profs (et les employés de la SNCF ou de la RATP) arboreraient fièrement, et qui rappellerait leur mot d'ordre intangible : "TOUCHE PAS à mon PRIVILEGE" ... Des fois qu'on oublierait.
Tu l'as compris Jéjé (et j'en termine), je suis pour une prise de décisions radicales comme jamais hélas, aucun gouvernement n'aura le courage d'en prendre. Ou alors, il aura trois millions de militants beuglant dans les rues, et des "journées d'action" (moi je dirais plutôt des journées d'inaction, mais c'est comme ça que ça s'appelle) à n'en plus finir : tu en vois l'exemple en ce moment même.
S'il ne cède pas, c'est qu'il aura des coucougnettes si grosses qu'il ne pourra plus marcher !
C'est pas demain la veille que je le verrai. Il faudrait changer les mentalités du pays tout entier, et depuis la Révolution Française (après 13 siècles d'immobilisme, tout de même), rien de tel n'a encore eu lieu en notre "Doulce France"...
2007-03-20 08:06:58
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answer #5
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answered by Anonymous
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