Si beaucoup se désintéressent aujourd'hui de l'étude du latin et du grec, c'est, je pense, parce qu'ils n'en saisissent pas l'intérêt, - l'intérêt intellectuel, et non l'intérêt économique, dont on ne devrait jamais tenir compte lorsqu'on prend la décision d'étudier telle ou telle langue, vivante ou morte, telle ou telle matière, dans un cadre scolaire ou non. On apprend avant tout, en effet, pour se construire, pour se nourrir intellectuellement, pas pour faire de soi une marchandise rentable qu'on irait ensuite proposer à la vente à ces investisseurs potentiels que seraient les entreprises !
Mais pourquoi n'en saisissent-ils pas l'intérêt, et quel est cet intérêt ? Ce sont les vraies questions à se poser, - et je pense que quelques lignes sur Yahoo Q/R, c'est peu pour tenter d'y répondre.
Mais essayons quand même, - rapidement, et donc, forcément, en caricaturant un peu...
Les raisons pour lesquelles "on" n'en saisit pas l'intérêt sont à mon avis de deux sortes :
1/ parce que ceux qui ont appris à le connaître, cet intérêt, et en tout premier lieu (globalisons, - et soyons donc injuste) l'Education Nationale, ne fait plus l'effort de transmettre cette connaissance à ceux qui ne l'ont pas. On découvre rarement tout seul que quelque chose est intéressante ; dans de nombreux domaines, c'est le hasard d'une initiation bien faite, par quelqu'un de passionné et d'instruit, qui nous pousse à nous intéresser de plus près à tel ou tel sujet ; que chacun de nous repense, pour s'en persuader, au premier contact qu'il a eu avec ce qui est aujourd'hui son loisir favori ! Trouver une chose intéressante, c'est donc d'abord rencontrer quelqu'un qui va nous en parler, savamment et avec enthousiasme. Mais pour que cela puisse se faire en ce qui concerne le grec et le latin, il faudrait que l'Education Nationale (encore elle ! je sais : il y a beaucoup de gens très bien dans l'Education Nationale, et je ne la stigmatise ici qu'en tant qu'institution) cesse de penser qu'elle ne doit transmettre que des savoirs UTILES... aux employeurs, et se mette dans le crâne (le crâne de l'Education nationale ! Ouille, ouille, ouille ! Qu'est-ce que je suis en train de raconter, moi ?) qu'elle devrait plutôt ouvrir les esprits, qu'elle devrait plutôt initier à... tout ce qui est "inutile", ce qui ne "sert" à rien, tout ce qu'on ne penserait pas forcément tout seul à étudier, tout ce que nos patrons ne nous feront jamais apprendre en formation continue ! Oh, elle y songe, - un peu : on enseigne la musique, à l'école... Enfin, - il y a quelque chose au collège qu'on a baptisée en tout cas "enseignement musical"... On parle aussi depuis des années d'y initier au jeu d'échecs... Rien de bien concret pour l'instant, - à part les initiatives personnelles, toujours bienvenues, de quelques institutrices ou instituteurs aidés éventuellement par quelques parents d'élèves bénévoles...
Et puis oui, bien sûr, il y a cette découverte de la langue latine, en cinquième (le grec, ça se fait rare). Mais si on ne nous dit pas que se sont là des apprentissages fondamentaux, qui ouvrent et aident à structurer l'esprit, si on considère ces matières au mieux comme un moment de détente, ou comme un supplément flatteur pour les meilleurs des élèves, ceux qui peuvent se payer le luxe de faire un peu de latin en plus des matières nobles, parce qu'utiles (encore une fois : à nos employeurs !) comme l'anglais ou les mathématiques (ce ne sont pas nous, ce sont nos employeurs qui ont besoin de l'anglais pour faire se parler leurs différents collaborateurs de nationalités différentes, et de mathématiques pour bien comptabiliser leurs profits... Nous, nous avons besoin de rêve, de courir le monde à la découverte des autres nos contemporains, de (par)courir les livres, de visiter l'histoire à la découverte des autres nos prédécesseurs, de nous étonner, de nous amuser, de créer, de chanter, de rire,... - et de manger, donc de gagner de l'argent, donc de trouver un emploi, donc d'étudier l'anglais et les mathématiques...), on n'est pas près de créer l'envie de les étudier, ces matières !
On touche là à la deuxième raison que je voulais évoquer :
2/ parce qu'à force de se l'entendre dire, ceux qui devraient réagir en réclamant un enseignement moins "pragmatique", moins orienté vers leur rentabilité économique future (à venir, donc ; mais le plus vite sera le mieux, donc pas de temps à perdre en route, pas de synapses à gaspiller à... à quoi déjà ? - ah, oui : à s'intéresser au grec, à apprendre le latin, à goûter aux charmes de la musique, à s'émerveiller des possibilités combinatoires infinies du jeu d'échecs...) finissent par se persuader eux-mêmes que le but de l'enseignement qu'ils suivent est d'en faire des mutants : d'êtres humains qu'ils sont, de les transformer volentes, nolentes (oui, un peu de latin, au passage...) en une force de travail immédiatement exploitable. Non pas d'élever leur cervelle à un certain niveau de science (et de l'ouvrir aux envies de découvertes nouvelles qui vont avec) mais d'adapter leurs mains (quand ce n'est pas leur moelle épinière) à certaines techniques, à l'utilisation de certaines technologies qui exigent des gestes bien différents de ceux du joueur de luth en train d'improviser, - pour ne citer que ceux-là...
En bref : on est victime aujourd'hui d'une croyance sournoise parce qu'elle se présente comme une évidence, et plus dangereuse encore ainsi que si elle avançait à visage découvert, - la croyance que l'acquisition des connaissances n'est qu'une nécessité économique, et qu'elle doit, en tant que telle, respecter les exigences de l'économie (de marché, - la seule vraie, bien entendu...), au premier rang desquelles se trouve la rentabilité...
Et l'intérêt du latin, du grec, et du reste, avec tout ça ??? J'ai déjà trop parlé, je vais me taire, je me tais...
N'est-ce rien que de découvrir, mieux qu'à travers des traductions, cette civilisation qui a précédé la nôtre et à laquelle nous devons tant encore ? N'est-ce rien que de sentir, mieux qu'à travers ce qu'en disent les dictionnaires, combien la langue que nous parlons nous rapproche de nos voisins italiens, espagnols, portugais , de nos presque voisins roumains ? N'est-ce rien que de pouvoir apprécier les finesses de sens que contiennent certains de nos mots, en comparant à l'emploi ordinaire que nous en faisons en français moderne les emplois potentiels que nous autoriserait l'étymologie ? Emplois dont d'ailleurs, les classiques du XVIIème siècle ne se privaient pas de faire usage (nous les comprenons mieux, ainsi !), et même certains de nos contemporains (avez-vous remarqué comme Paul Valéry parle français en donnant aux mots un sens latin ? Quand il écrit "charmes", il faut comprendre "carmina" : des vers ; quand il nomme un de ses personnages "Monsieur Teste", il faut comprendre "testis" : le témoin, etc.).
Et puis, n'est-ce rien (une dernière question, - et j'ai fini) que de disposer d'un outil de plus pour s'ouvrir l'esprit, structurer sa pensée, entraîner sa faculté de raisonnement, stimuler sa curiosité ???
J'avais promis, - j'arrête. Mais je n'ai fait qu'effleurer tout ce qu'on peut avoir envie de dire sur le sujet. D'autres peut-être vont poursuivre dans le sens de ce que j'ai exposé ???
2007-03-15 13:21:03
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answer #1
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answered by Ajr 4
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Tout d'abord une petite rectification sur le terme langues mortes (je déteste ce mot) : ce sont leurs locuteurs (loquor, loqui, locutus sum : parler > et oui, c'est du latin !) qui sont morts mais pas les langues elles-mêmes ! Dire que ce sont des langues mortes voudraient signifier qu'elles n'existent plus et ça c'est faux ! De plus le grec de Platon, Euripide, Hérodote ... est l'état ancien du grec moderne, un peu comme l'ancien français. Donc pour le grec il s'agit de l'évolution et de la continuation d'une même langue.
Si les gens se désintéressent du grec et du latin c'est d'abord pour une question de rentabilité, comme l'a dit très justement Ajr.
Mais imaginez que dans le futur, on enseigne seulement ce qui est utile, donc rentable, pour le métier de chacun : une future caissière apprendrait juste à manipuler sa caisse et quelques rudiments de calculs, un maçon juste à faire du ciment et poser des briques, idem pour le prof de géographie, le médecin... Ce serait vraiment n'importe quoi, non? Donc assez de cette logique capitaliste qui voudrait qu'on étudie seulement ce qui est rentable.
Ensuite je pense qu'un autre problème chez les jeunes est le manque du gout de l'effort : on ne fait plus de latin ou de grec car il faut étudier ! Ah oui c'est dur d'étudier, c'est fatiguant, ça donne mal la tête, on a autre chose à faire, ... Le latin et le grec étant à des cours à options, il est plus facile de se diriger vers des options où il ne faut pas étudier, pas fournir d'effort. Il faudrait rappeler aux jeunes que tout n'est pas servi sur un plateau d'argent, comme on a tendance à leur faire croire.
Je terminerai par un petit clin d'oeil au latin : beaucoup de gens ne le savent peut-être pas mais nous sommes entourés de marques aux noms latins : Nivea (niueus, a, um : de neige), la bière Stella (stella, ae, f. : astre, étoile), Volvo (uoluo, is, ere, uolui, uolutum : faire rouler, rouler, remue), Proximus (proximus, a, um : proche),...
Alors latin et grec, toujours des langues mortes?
2007-03-15 23:28:43
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answer #3
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answered by Cybèle 3
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