Bayrou : un bon ministre de l'Education nationale ?
Ceci est l’opinion d’un prof de Lettres-Histoire-Géo de collège (depuis 1978, avant le collège Haby) et qui n’engage que son auteur, moi-même. J’ai vu et ressenti de l’intérieur l’action menée par Mr Bayrou, et c’est mon témoignage que je viens livrer, sans esprit partisan. Je ne juge et n’évalue par exemple pas du tout ce que le ministre Bayrou a pu faire au niveau du LYCEE et de l’UNIVERSITE, qui est peut-être excellent. (Karinepoi, si tu me lis, c’est à ton témoignage que je pense, et je le respecte, n’étant pas aussi bon juge que tu as pu l’être.)
Mon appréciation se cantonne à ce que Bayrou prétend avoir fait au niveau du COLLEGE, que certains appellent « maillon faible de l’Education Nationale », et où le malaise enseignant n’a effectivement d’égal, trop souvent, que celui des adolescents… En guise de préambule, que l’on sache juste que j’ai définitivement cessé d’estimer Bayrou (après avoir énormément espéré et cru un instant en lui) après son passage au Ministère de l’Education Nationale. Je suis comme une maîtresse déçue par son amant prometteur, un hâbleur un peu lâche qui n’a pas tenu beaucoup de ses promesses. Voici donc mon jugement sans excès, mais sans complaisance sur son action, vécue et évaluée de l’intérieur du système.
J’ai repris les déclarations du Ministre (qui s’évalue et s’auto-congratule lui-même sur le site http://www.bayrou.fr/portrait/ministre_education_nationale.html) et les ai mises entre guillemets. Ensuite, j’ai indiqué entre crochets ce que j’en pensais. C’est un peu long, j’en conviens, mais cela peut intéresser un profane qui vit et voit le sujet de l’extérieur, et cherche à savoir ce que donnerait (ou donnera) un homme comme François BAYROU à la tête de la France, comme Président de la République.
Que chacun se fasse une opinion, la démocratie est faite pour cela, comme ce forum pour témoigner sans œillères ni contraintes. Que nous dit Bayrou, donc ?
« Je suis devenu ministre, quatre années durant, de l’Éducation nationale : sans conteste le plus difficile, mais le plus beau ministère de la République ».
[Absolument, et j’ajoute l’un des plus ingouvernables]
« De 1993 à 1997, les programmes de l’école primaire et du collège ont été réécrits et simplifiés, recentrés sur l’essentiel. »
[Eh bien ça s’est traduit effectivement par quelques belles aberrations, pour le moins. Par exemple, en Histoire, programme de 3ème (de 1914 à nos jours) suppression totale de la leçon sur la Crise économique de 1929, phénomène majeur de l’après-guerre, qui explique les ressorts du capitalisme et permet aux élèves de mieux appréhender la différence entre celui-ci et le communisme, aussi étudié cette année-là… Ou pire, en 6ème (l’Antiquité), suppression dans l’histoire de la Grèce de toutes les références à Sparte, cité guerrière, militariste et élitiste certes (ce qui n’est guère politiquement correct) mais qui n’en a pas moins dominé le Péloponnèse après avoir battu la démocratique et artistique Athènes, ce qui étonne toujours les élèves qui la croyaient unique et invincible. Deux exemples du déséquilibre fort contestable résultant de ce « recentrage sur l’essentiel » : si l’essentiel est de cacher les vérités qui fâchent (le capitalisme est faillible, et la force peut parfois vaincre l’intelligence) autant simplifier la Seconde Guerre Mondiale : pas besoin de parler d’Hitler, on n’a qu’à dire qu’après une légère tension diplomatique, celui-ci déprimé s’est suicidé et que De Gaulle, parti en vacances en Angleterre, a repris en mains la direction de la France après Pétain, parti en maison de retraite sur l’île d’Yeu. C’est plus simple, et le résultat est le même.]
« Les langues vivantes ont été introduites à l’école primaire. »
[Belle initiative. Dans le même temps, l’enseignement du français a été mécaniquement réduit, entraînant la confirmation d’un analphabétisme de l’ordre de 20% des élèves à l’entrée en 6ème dont le candidat s’émeut – à juste titre – aujourd’hui. Mesure valable et défendable pour les élèves doués, mais catastrophique et inutile pour les autres. Or, la différentiation de leur niveau serait idéologiquement inacceptable pour les penseurs et syndicalistes éclairés qui nous gouvernent. Même soupe pour tous ! Ceux qui n’en ont pas assez se brossent, ceux qui en ont trop n’ont qu’à dégueuler.]
« L’éducation civique a été mise au premier plan. »
[Excellent ! Mais… merci beaucoup M’sieu Bayrou, c’était déjà fait sous Chevènement. Rendons à César ce qui appartient à César, et pas besoin de se glorifier de ce que d’autres ont mis en place avant soi.]
« Au collège, pour sortir des pièges du collège unique, j’ai créé des parcours diversifiés. »
[Il n’a rien changé aux pièges – et au désastre, n’ayons pas peur des mots – du collège unique, qui perdure aujourd’hui, et continue de faire les ravages que l’on sait. Les fameux « parcours diversifiés » sont une vague formule creuse de plus, qui ne repose sur rien de concret. Tous les élèves entrent en 6ème, sont mélangés dans des classes hétérogènes, et suivent le cursus imposé sans redoubler, sauf si vraiment les parents insistent. Tout ce qui aurait pu différencier les élèves – reconnaissance des mérites et des facilités, ou prise en compte réelle des retards et difficultés – a au contraire été gommé. Je mets au défi quiconque de m’expliquer ce qu’est un parcours diversifié, hormis une belle foutaise ! Ajoutons qu’après une belle brochure de dix pages environ dénonçant les dérives instaurées par René Haby en 1980, sous le titre magnifique de « Collège UNIQUE, collège INIQUE », Monsieur Bayrou a baissé sa culotte devant les syndicats qui s’offusquaient de cette remise en cause, et s’est contenté de remettre droits un ou deux cadres un peu de travers, de laver les rideaux et de changer la moquette. Le collège inique (y nique même sacrément sa race, dans certaines ZEP) eh bien, il va toujours très bien, merci.]
« J’ai renforcé l’apprentissage du français en classe de 6e. »
[J’étais prof de français et je n’ai pas spécialement vu en quoi, désolé. Par contre, j’ai vu se mettre en place une méthode fondée sur une révolution intellectuelle appelée « le français en séquences », qui dilue l’enseignement de la grammaire et de l’orthographe dans une série « d’études thématiques » et aboutit à rendre encore plus faible et incertaine la maîtrise de la langue écrite. D’ailleurs Gilles de Robien vient de revenir là-dessus (avec une hâte de centriste, mais c’est toujours mieux que de ne pas réagir), et je comprends qu’il y ait de l’eau dans le gaz entre les deux collègues ministres, et membres de l’UDF. L’enseignement du français s’est encore dégradé sous Bayrou, mais rassurons-nous, cette descente a été poursuivie opiniâtrement par ses successeurs.]
« J’ai mis en place pour la première fois des études dirigées où les élèves de 6e et 5e ont été accompagnés par les professeurs. »
[Absolument ! C’est hélas fortement discuté, et les profs ne se bousculent pas pour assurer l’encadrement, c’est le moins qu’on puisse dire. Faute des conditions d’une vraie discipline, ces études sont parfois si bruyantes qu’on ne peut y travailler, beaucoup d’élèves s’y ennuient, et quand le prof rétablit l’ordre, on ne peut communiquer et on travaille seul, car il est impossible à un prof seul d’aider efficacement 27 ou 28 élèves. Ceux-ci détestent les études dirigées. Il faudrait les proposer aux volontaires et les limiter à 10 ou 12 élèves par adulte, en permettant à l’élève de choisir dans la mesure du possible son professeur-tuteur, mais Mr Bayrou n’allait pas se poser toutes ces questions-là. Le cadre était créé, peu importe si ça marchait ou non ensuite. L’important est de laisser une réforme pour la postérité.]
Enfin, le morceau de bravoure, préfiguration de la « baffe à Mohamed » restée célèbre.
« J’ai à traiter, en 1994, du foulard islamique, exemple le plus brûlant des questions posées aujourd’hui à la communauté nationale. Je fais effectuer un chiffrage : plusieurs milliers de voiles. Des garçons, dans certains lycées, menacent de troubler les cours si les professeurs n’abandonnent pas des parties du programme : ici c’est du programme de biologie qu’il s’agit et de la représentation du corps de la femme, là Ronsard et Rabelais sont déclarés impies. J’ai compris que la liberté était bafouée, et qu’il fallait protéger l’école de la République. Les droits de l’homme commencent avec les droits de la femme. »
Après un été de concertations, François Bayrou tape, sur son ordinateur portable, la circulaire qui paraîtra le 20 septembre 1994 :
« L’école est, par excellence, le lieu d’éducation et d’intégration où tous les enfants se retrouvent pour apprendre à vivre ensemble et à se respecter. À la porte de l’école doivent s’arrêter toutes les discriminations, qu’elles soient de sexe, de culture ou de religion. Cet idéal laïc et national est la substance même de l’école de la République et le fondement du devoir d’éducation civique qui est le sien. C’est pourquoi il n’est pas possible d’accepter à l’école la présence et la multiplication de signes si ostentatoires que leur signification est précisément de séparer certains des élèves des règles de vie commune de l’école. En quelques mois– écrit-il ensuite — ce que j’espérais s’est vérifié. Le nombre des voiles a été divisé par dix. Sans qu’une seule fois les jeunes musulmanes, comme croyantes, ne soient injuriées ou blessées ».
[Rien à redire sur le principe, parfaitement justifié. Mais la suite a montré que des exceptions étaient souvent faites, ou tolérées, et ce genre de revendications continue d’exister. Il fallait le faire : Bayrou l’a indéniablement fait. Mais l’application du principe demeure assez aléatoire.]
Conclusion : tu as hélas raison, malgré ses rodomontades gargarisatoires et auto-satisfaites, il n'a effectivement pas fait grand-chose au final... En tous cas, pas en COLLEGE. De ça, j'en suis bien sûr !
En grand courageux qu'il est, il s'est contenté de gouverner à vue, reculant dès qu'il indisposait, et fonçant sabre au clair en hurlant : "Pas de quartieeer !" dès qu'il y avait une porte ouverte à enfoncer, une situation d'évidence où le consensus était acquis d'avance (la cas de la laïcité étant le plus flagrant)
Ce n'est pas l'idée que je me fais d'un homme responsable et courageux, qui va devoir diriger le pays durant 5 ans, avec détermination.
Dans le genre "Capitaines courageux", je préfère définitivement l'oeuvre de Kipling.
2007-03-13 21:55:59
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answer #1
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answered by Anonymous
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