A) L’Empire de Charlemagne
Charlemagne (768-814) est le petit-fils de Charles Martel, le fils de Pépin. Il hérite d’un royaume étendu à la Germanie qu’il agrandit encore par des campagnes militaires incessantes, appuyées sur une cavalerie équipée. De nouveaux territoires germains sont conquis, et ouverts à l’évangélisation (notamment celle des saxons). En revanche, Charlemagne échoue face au royaume basque d’Espagne[1].
A la tête d’un ensemble de territoires d’un million de km2, étendus jusqu’au Danube, Charlemagne veut restaurer l’administration et l’Etat. Successeur de l’Empire romain, empereur chrétien couronné en 800, Charlemagne centralise l’administration dans sa nouvelle capitale d’Aix la Chapelle, d’où partent les envoyés du maître, les missi dominici, chargés de surveiller les centaines de comtes qui représentent l’empereur dans tous ses territoires. Ce souci d’une bonne administration passe par l’élévation du niveau des "fonctionnaires". Celle-ci passe par une réforme de l’enseignement : ouverture d’une école dans chaque évêché et chaque monastère, étude du latin et des textes antiques, invention d’une nouvelle écriture (la minuscule caroline, à l’origine de nos caractères d’imprimerie), appel aux grands "intellectuels" du temps. Les résultats sont tels qu’on peut parler à juste titre de Renaissance carolingienne.
Enfin, Charlemagne accentue la hiérarchie des dépendances. Il encourage le processus de vassalité, c’est à dire le serment privé de l’hommage rendu à l’empereur par ses vassaux (cavaliers de l’armée, ducs, comtes, évêques, abbés, responsables de l’administration) qui reçoivent en retour des bénéfices (terres, argent, pendant le temps de leur engagement au service de l’empereur). Charlemagne exige aussi de tous les hommes libres un serment public de fidélité, gage de cohésion de cet immense Empire aux peuples, aux langues et aux coutumes multiples.
B) La Francia occidentalis naît du Partage de Verdun (843)
Un tel gouvernement, centralisé et marqué par la personnalité de Charlemagne, ne pouvait que s’effondrer à la mort du fondateur. Son fils, Louis le Pieux, affronte la révolte de ses propres fils qui remettent en cause le partage prévu. Finalement, l’empire est découpé en trois royaumes complètement indépendants, lors du Partage de Verdun (843) : trois bandes parallèles de territoires étirés du nord au sud, permettant la jonction commerciale entre Europe du Nord et Europe méditerranéenne.
843 est un acte de naissance supplémentaire de la France, puisque la Francia occidentalis, la Francie occidentale qui naît à cette occasion, est limitée à l’Est par les "quatre rivières" (Escault, Meuse, Saône et Rhône). Elles serviront de frontières aux rois carolingiens et capétiens jusqu’à la fin du Moyen Age.
C) Les princes territoriaux s’affirment, et parmi eux, les Capétiens
Entre 843 et 987, le pouvoir royal s’affaiblit considérablement. Les comtes revendiquent de plus en plus l’honneur (et l’intérêt) de conserver leur charge leur vie durant. Comme eux, les vassaux cherchent à rendre leurs bénéfices héréditaires. Abbés et évêques sont pratiquement indépendants sur leurs terres.
Ce processus de dissolution de l’autorité royale est aggravé par les dernières grandes invasions.
Les Musulmans, installés depuis le VII° siècle en Afrique du Nord et en Espagne, lancent des raids sur la côte méditerranéenne, occupant même des points fortifiés jusqu’à la fin du X° siècle. Dès 840, les Vikings venus de Scandinavie remontent avec leurs drakkars les grands fleuves (Seine, Loire, Garonne, Rhône) et pillent cités et monastères de l’arrière-pays. A la fin du IX° siècle, ce sont les Hongrois qui ravagent le territoire, avant d’être repoussés, au siècle suivant, par le roi de Germanie.
Alors que les parties méridionales de Francie occidentale sont de plus en plus délaissées par les rois carolingiens, les échelons régionaux du pouvoir sont mieux à même d’assurer la défense et la protection des populations. Dès le début du X° siècle, alors que l’Empire carolingien disparaît, les comtés sont regroupés entre les mains de princes territoriaux, qui prennent le titre de ducs ou de comtes. Ce sont eux qui exercent toute la puissance publique, parmi ces grands, le duc d’Aquitaine, le duc de Bourgogne ou encore le duc de Normandie.
Parmi ces grandes familles, il faut signaler les Robertiens, qui contrôlent les comtés entre Seine et Loire. Dès la fin du IX° siècle, ils fournissent des rois : l’hérédité du souverain carolingien ne s’impose plus aux princes et aux évêques du royaume qui se sentent assez forts pour élire de temps à autre un Robertien. En 987, quand le dernier Carolingien meurt sans héritier direct, c’est le Robertien Hugues Capet qui est élu. La même année, il associe au pouvoir son fils. Une nouvelle dynastie était née : celle des Capétiens.
D) A la fin du XI° s plusieurs centaines de châtellenies
Les débuts de la nouvelle dynastie coïncide avec la mise en place de la féodalité. Le processus de dissolution du pouvoir s’est encore aggravé, cette fois aux dépens des principautés territoriales. Ainsi, la grande principauté des Robertiens s’est fragmentée en différents comtés, et les premiers rois capétiens ne contrôlent directement que 1’Ile de France et l’Orléanais.
A l’intérieur même des comtés, le pouvoir est de plus en plus accaparé par de simples possesseurs de châteaux. A partir de 1030, on assiste à un véritable "choc châtelain", ou à une "mutation féodale" (Georges Duby). La puissance publique comtale (impôts, justice, levée des troupes, calendrier agricole) est exercée par des châtelains, de façon privée, dans le cadre de la seigneurie rurale. A la fin du XI° siècle, il existe en France plusieurs centaines de châtellenies, chacune ayant pour ressort une douzaine de paroisses. Cette appropriation privée de la puissance publique définit la féodalité au sens large. Au sens restreint, la féodalité désigne les relations sociales entre seigneurs et vassaux.
III) Une nouvelle société : la féodalité
A) L’aggravation des dépendances personnelles au profit des seigneurs
La seigneurie rurale (ou châtellenie) est double. La seigneurie foncière est divisée entre la réserve du seigneur, directement exploitée par lui ou par ses agents, et le reste, des lots, des tenures exploitées par des paysans contre une redevance annuelle en argent ou en nature - le cens - et des journées de travail sur la réserve - les corvées. La seigneurie banale est plus large. Elle reconnaît au seigneur un droit de ban (de commandement), des pouvoirs de police et de justice sur tous les hommes qui habitent sur son territoire. Des corvées comme l’entretien de la forteresse ou des chemins, des impôts comme la taille, des taxes sur l’usage obligatoire du moulin, du pressoir ou du four banal (seigneurial) frappent tenanciers et paysans indépendants, libres et non-libres. Quand cette dépendance paysanne à l’égard du seigneur devient héréditaire, on parle de servage. Le nombre de serfs, caractérisés par des redevances particulières comme la main-morte[2], varie fortement d’une région à l’autre.
Nombre de châtelains tiennent leur châtellenie d’un seigneur plus puissant. Cette châtellenie - territoire, château et droits sur les paysans dépendants - c’est le fief (d’où le mot féodalité), le mot désignant les bénéfices à partir du XI° siècle. La remise du fief au vassal, lors de la cérémonie de l’investiture, implique un devoir d’aide (surtout militaire) et de conseil au seigneur, dans le cadre de la cour, au château. En échange, le vassal engage sa foi (sa fidélité) lors de la cérémonie de l’hommage, agenouillé devant le seigneur, et conclue par un baiser. Quand un vassal est l’homme de plusieurs seigneurs, ce qui est souvent le cas, il prête un hommage-lige au seigneur prééminent.
Vassaux et seigneurs sont des hommes d’armes, des combattants à cheval, des chevaliers. La richesse de leur équipement (heaume, haubert, bouclier, épée, lance), leur entraînement à la guerre (joutes, tournois, chasse), l’hérédité de leur condition, la possession de fiefs constituent cette élite aristocratique. Cette conscience d’appartenance à un lignage est la noblesse. Dès avant le XII° siècle, la société médiévale ne distingue plus entre libres et non-libres, mais entre nobles (laïques et ecclésiastiques) et roturiers. Il n’y a que des hommes libres.
Le cadre de vie de la noblesse est le château. D’abord (début X°), il ne s’agit que de châteaux à motte, avec des tours en bois. A la fin du X°, puis pendant tout le XI° siècle, les forteresses en pierre se répandent, avec leur donjon quadrangulaire dominant le village, leur basse-cour capable d’accueillir les dépendants en cas de conflit. Centre de la seigneurie rurale, le château est le siège de la force et de la justice châtelaines, un entrepôt pour les redevances paysannes, un lieu de refuge, mais aussi de distraction (banquets, tournois, trouvères au nord, troubadours dans les pays d’oc). Symboles de la puissance seigneuriale, ces châteaux ont souvent eu d’heureux effets économiques. Ils ont servi de points d’appui pour les grands défrichements et la mise en valeur des terres, doté la seigneurie d’équipements collectifs (moulins, fours, forges, pressoirs) et permis la naissance de bourgs castraux (village à enceinte fortifiée).
B) La christianisation d’une société liée à l’Eglise
Soutien essentiel de la monarchie (depuis Clovis), l’Eglise catholique essaie d’imposer ses propres normes et ses propres hiérarchies à une société féodale violente et guerrière. D’abord en se rendant indépendante des rois, des princes et des seigneurs. C’est l’objectif de la Réforme Grégorienne (du nom du pape Grégoire VII au XI° s.) qui détache des grands laïques les nominations ecclésiastiques. Ainsi, l’évêque est-il élu par les chanoines du chapitre cathédral. Peu à peu, l’Eglise parvient à "moraliser" les comportements sociaux des grands, notamment en imposant la monogamie et le mariage non consanguin, avec le consentement des deux époux, en disposant de l’arme de l’excommunication (le Capétien Philippe 1er, à la fin du XI°, est excommunié trois fois pour avoir voulu épouser sa maîtresse et légitimer ses enfants bâtards).
L’Eglise tente aussi de discipliner la violence des puissants, en décidant, aux alentours de l’an mil, "la paix de Dieu" (qui protège certains lieux d’asile comme les églises et certaines catégories sociales comme les paysans, les clercs, les marchands, les pèlerins, les veuves et "la trêve de Dieu" (qui interdit la guerre pendant des temps religieux forts comme Pâques et du vendredi au dimanche).
Malgré les menaces d’excommunication, l’Eglise a fort à faire pour faire respecter ses propres valeurs, qui se diffusent néanmoins par le biais de ses institutions : monastères, pèlerinages auprès des reliquaires, hôpitaux (hôtels-Dieu), écoles ...
Cette christianisation en profondeur de toute une société s’opère enfin dans l’existence quotidienne : calendrier chrétien dont les fêtes (Pâques, Noël ... ) et les saints rythment la vie de la paroisse. Le curé enregistre l’état civil et assure le soin des âmes (la cure = cura) et l’éducation de tous. Même les analphabètes lisent sur le tympan, les sculptures, les fresques et les vitraux des églises romanes et gothiques, les scènes des Evangiles et du Jugement Dernier.
C) Essor démographique, agricole et urbain
Contrairement à de fausses idées reçues sur l’atmosphère de fin du monde de l’an mil, cette date est à retenir comme point de départ d’une période d’expansion durable, aux multiples manifestations. Expansion démographique, nette, durable, jusqu’au début du XIV° siècle (famine et Peste Noire). Des hommes plus nombreux, plus nombreux parce que mieux nourris[3], mieux nourris parce que plus nombreux. D’immenses défrichements, assèchements de marais permettent d’étendre les surfaces cultivées. La diffusion de nouvelles techniques (charrue attelée, collier d’épaule pour les bÅufs, moulin à eau, puis à vent à partir de 1180) permettent d’autres progrès agricoles.
La production de surplus monnayables permet une différenciation sociale, l’apparition de marchands et d’artisans dans les faubourgs des anciennes villes épiscopales ou dans les nouveaux bourgs castraux.
Dans une société féodale christianisée, cet essor démographique et économique permet de fournir les effectifs considérables et les finances nécessaires à l’érection de milliers d’églises rurales romanes (voûte en berceau, arc de plein cintre), et à partir du milieu du XII° s. et de 1’Ile de France, des premières cathédrales gothiques urbaines (arc brisé, voûte sur croisée d’ogives).
La diffusion dans toute l’Europe du modèle gothique ou bien clunisien prouve que cet essor démographique et social est celui de tout l’Occident. Il est le fait d’une Eglise conquérante, qui assure la cohésion des trois ordres d’une société féodale divisée entre ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent. Cet essor est aussi le fait de nouvelles couches sociales peu intégrées à ce schéma d’une société profondément rurale : artisans et marchands. Noyaux de cette bourgeoisie qui anime de mieux en mieux les villes de commune, autonome vis-à -vis du seigneur. C’est en particulier sur ces villes (" villeneuves ", " villefranches ") que les grands rois capétiens vont s’appuyer pour reconstruire leur autorité et faire émerger l’Etat moderne de la féodalité.
Toutefois, la féodalité et l’Etat moderne ne sont pas sur le même plan. La féodalité est une caractéristique de la société, est une organisation sociale. L’Etat moderne est lui plus une modalité de gouvernement. En cela et pour partie ce système de gouvernance s’oppose au système féodal.
[1] son arrière-garde, commandée par le comte Roland, est anéantie par les Basques à Roncevaux, à l’ouest des Pyrénées : La chanson de Roland, datée du X° siècle, est l’un des plus anciens textes du patrimoine littéraire français
[2] mainmorte, au Moyen Ãge, privilège seigneurial de disposer des biens d’un serf décédé.
[3] Les rendements atteignent 4 pour 1 en Bourgogne au XII° s. contre 2 à 3 pour 1 à l’époque carolingienne.
2007-02-17 14:56:37
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answer #2
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answered by Anonymous
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