A l'origine, la géographie est toute ethnographie. On en trouve, par exemple, le témoignage dans le chapitre X de la Genèse, qui n'est qu'une liste généalogique des peuples connus des Hébreux. Il en est de même de la géographie d'Homère (VIIIe siècle av. notre ère), qui n'a fait autre chose que peindre par quelques épithètes les contrées bien connues des Grecs et entourer de légendes les pays les plus éloignés; il faut un reste de la dévotion dont quelques Anciens honoraient leur poète, pour trouver un système géographique dans la description du bouclier d'Achille.
Dans un premier temps, les Phéniciens, grands voyageurs, eurent sûrement de meilleurs connaissances géographiques que les Grecs. Ils explorèrent les côtes de la Méditerranée passèrent le détroit de Gibraltar et visitèrent les rivages de l'Atlantique en Europe et en Afrique, jusqu'à la Grande-Bretagne et aux côtes de la Baltique au Nord, et jusqu'au tropique du Capricorne au Sud. Vers 600 av. J.-C., Néchao roi d'Égypte (La Basse Époque), fit partir, de la mer Rouge pour l'océan Indien, une flotte dirigée par des Phéniciens. En trois ans, cette expédition fit, selon toute vraisemblance, le tour de l'Afrique, atteignit le détroit de Gibraltar et retourna en Égypte par la Méditerranée. Les connaissances géographiques furent augmentées par les Carthaginois mais la seule de leurs expéditions dont nous ayons un récit authentique est celle de Hannon, vers le Ve siècle av. J.-C. Hannon fit voile de Gibraltar, suivit les côtes d'Afrique jusqu'à la baie de Bénin ou suivant les appréciations de quelques auteurs, jusqu'à la rivière de Nun seulement (Le périple de Hannon).
Les connaissances géographiques des Grecs ont beaucoup bénéficié des connaissances acquises par les autres peuples de la Méditerranée. Mais c'est avec eux que, vers le milieu du VIe siècle, commence la science géographique proprement dite. Les découvertes astronomiques et mathématiques de Pythagore qui enseigne la sphéricité de la Terre, les voyages du Samien Coloeus en Espagne méridionale et au delà du détroit de Gadès (Cadix), les recherches des philosophes ioniens, entre autres d'Anaximandre, qui chercha à déterminer la grandeur de la Terre (L'Histoire de la géodésie), donnent la première impulsion. Les Grecs ont aussi tiré profit - au moins pour ce qui concerne les progrès de leurs connaissances géographiques - de la fondation de l'empire des Perses, maîtres des trois contrées où s'étaient développées d'abord les sciences mathématiques et nautiques, la Chaldée, l'Égypte et la Phénicie. L'extension de cet empire vers l'Orient, la fondation des colonies grecques sur les bords de la mer Noire et leur commerce avec les tribus septentrionales, permirent ainsi à Hérodote de donner le premier une idée précise de la Terre connue de son temps.
Hérodote (vers 450 av. J.-C.) souvent qualifié de père de l'histoire, pourrait aussi être considéré comme celui de la géographie. S'il commet des erreurs sur l'étendue relative de l'Europe, de l'Asie et de la Libye, il connaît bien le bassin de la Méditerranée, principalement dans sa partie orientale; il décrit parfaitement la mer Noire et les fleuves qu'elle reçoit; il a vu l'Égypte et la plus grande partie de l'Asie occidentale; il sait déjà (ce qui a été contesté encore pendant cinq siècles) que la Caspienne est une mer isolée; les traditions qu'il a recueillies sur l'Inde, sur la circumnavigation des Phéniciens autour de l'Afrique, sur le voyage des Nasamons au centre de ce continent, ont fourni de précieux renseignements à la critique moderne; il mentionne avec soin le climat et les productions des diverses contrées, note le caractère de leurs habitants, enrichit ses descriptions des traditions historiques des différents peuples, analyse leurs gouvernements, et fait connaître les sources et l'étendue de leurs richesses.
Entre la fondation de l'empire des Perses et celle de l'empire d'Alexandre, qui marque la seconde époque de la géographie ancienne, se placent plusieurs voyages qui étendent les limites du monde connu, et bientôt Aristote, ses disciples et toute l'école d'Alexandrie, recueillant ces connaissances, donnent à la science un immense développement. Ainsi, vers 350 av. J.-C., Pythéas, marin de Massilia (Marseille), pénètre jusqu'au nord de la Grande-Bretagne et jusqu'à l'entrée de la Baltique. Alexandre le Grand étendit les connaissances des Grecs dans l'Inde, fit relever par ses bématistes ou ingénieurs-géographes, Diognète et Baéton, les marches journalières de son armée, et explorer les côtes de la mer Érythrée par ses amiraux Néarque et Onésicrite : cette expédition créa donc la topographie militaire et l'hydrographie maritime, branches importantes de la cartographie.
Il ne manquait aux Grecs que des connaissances mathématiques plus étendues. Déjà Eudoxe de Cnide(vers 409 - 356 av. J.-C.) avait essayé d'assujettir la géographie à des observations astronomiques, et Pythéas, à l'aide du gnomon, avait déterminé presque exactement la latitude de Marseille. Mais par l'expédition d'Alexandre, les nombreuses observations des Égyptiens et des Chaldéens devinrent accessibles aux Grecs et leur fournirent des données nouvelles. Aussi voyons-nous presque aussitôt Aristote enseigner la sphéricité de la Terre, en évaluer la circonférence presque aussi exactement que l'ont fait les modernes, voire deviner, a-t-on prétendu bien imprudemment, le Nouveau Monde. Son disciple Dicéarque chercha à déterminer les lieux situés sous le parallèle de Rhodes.
Enfin un bibliothécaire d'Alexandrie, Ératosthène (vers l'an 276 av. J.-C.) unissant aux recherches antérieures ses propres observations, créa un système complet de géographie et de cartographie qui resta classique pendant quatre siècles. Quoique connaissant la sphéricité de la Terre, il crut, comme tous les géographes de l'Antiquité, que la partie habitable du globe n'occupait qu'une surface assez restreinte de l'hémisphère boréal, entre l'équateur et le pôle, et qu'on pouvait, sans grande erreur, considérer cette portion étroite de la sphère comme une surface plane. De là une double erreur : d'abord la projection de sa carte, où les méridiens, comme les parallèles, étaient des lignes droites, était une projection plate par développement cylindrique qui défigurait les contrées septentrionales; elle était ensuite beaucoup plus allongée de l'Est à l'Ouest que du Nord au Sud. De là le nom de longitude ou longueur donné par les Anciens à l'étendue de la Terre, mesurée d'Orient en Occident, et celui de latitude ou largeur, du Nord au Sud, noms conservés par les modernes, bien qu'ils ne représentent plus aujourd'hui qu'une idée fausse.
D'autres erreurs venaient encore de la fausse direction du principal méridien et du principal parallèle. Ce dernier était celui de Rhodes, appelé aussi diaphragme de Dicéarque, parce que cet astronome, d'après des observations erronées, avait placé sous ce parallèle de Rhodes, les points principaux du bassin de la Méditerranée, les Colonnes d'Hercule, le détroit de Sicile, le cap Sunium, Issus, et une longue chaîne de montagnes appelée du nom général de Taurus, et qu'il supposait s'étendre en ligne droite à travers toute l'Asie. Le principal méridien était celui d'Alexandrie, sous lequel Ératosthène, trompé par les indications toujours inexactes du gnomon, avait placé au Sud Syène (Assouan) et Méroé, au Nord Rhodes, Byzance et l'embouchure du Borysthène. Enfin, refusant de croire à l'assertion d'Hérodote sur l'isolement de la Caspienne, il faisait de cette mer un golfe de l'Océan septentrional, conformément à ses idées systématiques sur la connexité de toutes les mers du globe.
Malgré ses erreurs, le système d'Ératosthène prévalut pendant quatre siècles sur celui de l'astronome Hipparque(IIe siècle av. J.-C.), beaucoup plus mathématique. Hipparque démontra qu'on ne pouvait déterminer exactement les positions respectives des lieux, qu'en partageant le globe en cercles correspondants et semblables à ceux de la sphère céleste; il voulut déterminer les latitudes et les longitudes au moyen d'instruments inventés par lui ou dont il fit le premier un fréquent usage, l'astrolabe et la dioptre; il substitua à la projection plate d'Eratosthène un châssis à méridiens convergents, en tenant compte du décroissement des degrés de longitude proportionnellement à l'élévation des latitudes, c.-à-d. qu'il inventa la projection perspective stéréographique.
Environ un siècle et demi après Hipparque, Strabon, Grec du Pont et explorateur célèbre, écrivit une géographie qui embrasse tout ce qui était connu de cette science au commencement de l'ère chrétienne. Les contrées méditerranéennes étaient assez bien connues, mais on savait peu de choses des côtes atlantiques de l'Europe et l'on ignorait complètement ce qui concerne la Scandinavie, la Russie, le nord de l'Allemagne, la Sibérie, la Tartarie, la Chine, le Japon et l'archipel Asiatique. Cet auteur commet sans doute aussi quelques erreurs. Il oriente mal l'Europe occidentale et les côtes méridionales de l'Asie : ainsi, il pense que les Pyrénées se dirigent du Nord au Sud, et que le Rhin leur est parallèle; que la Grande-Bretagne a une forme triangulaire, et que l'Irlande est située entièrement au Nord de la grande île. II ne connaît rien au delà de l'Elbe, et, dans la Méditerranée même, il donne à l'Italie une direction presque entièrement de l'Ouest à l'Est. Comme Ératosthène, il fait de la Caspienne un golfe de l'océan septentrional, et, dans sa pensée, la côte de l'Inde depuis l'Indus jusqu'au cap Comorin se dirige tout entière vers l'Orient. Mais la Grèce et la plus grande partie de l'Asie sont riches de descriptions exactes et de détails historiques du plus haut intérêt, et l'ouvrage de Strabon est le modèle le plus parfait de la géographie politique.
L'organisation de l'empire romain qui réunit sous une même administration tout le bassin de la Méditerranée eut en effet pour conséquence une connaissance complète de la chorographie de ces pays. Il y eut ainsi des géographes romains; le premier fut Pomponius Mela, qui écrivit vers le temps de l'empereur Claude. Dans son traité De situ urbis, il explique la division du monde en deux hémisphères : l'hémisphère septentrional, partie connue de la terre; et l'hémisphère méridional, partie encore inconnue. Mais c'est encore à Alexandrie que la synthèse des nouvelles connaissances va s'accomplir, avec Ptolémée, qui vivait vers le milieu du IIe siècle après J.-C. A cette époque, la notion d'un océan circumambiant avait été abandonnée, et celle d'une étendue indéfinie de terra incognita lui était substituée comme limites supposées du monde.
La Géographie de Ptolémée est le résumé de toute la science géographique de l'Antiquité, à l'époque de la plus grande extension de l'empire romain. Ptolémée oriente bien plus exactement que Strabon l'Espagne, l'Italie, la Gaule et les îles Britanniques; il connaît, quoique un peu confusément, le Sud de la Baltique jusque vers le 58° de latitude; en Afrique, ses connaissances sur le Niger et principalement sur le Nil supérieur sont étonnantes; en Asie, il revient à l'isolement de la Caspienne, tout en donnant à cette mer une fausse extension de l'Est à l'Ouest; une partie de l'Asie centrale est désignée sous le nom de Sérique, et l'Inde au delà du Gange assez bien décrite jusqu'au Grand Golfe (de Martaban). Mais, à côté de ces mérites, on rencontre l'hypothèse étrange d'une terre continue allant de la côte de l'Inde à celle de l'Afrique, et faisant de la mer des Indes une immense Caspienne, hypothèse qui s'est perpétuée pendant une partie du Moyen âge, et a longtemps fait croire aux Européens qu'il était impossible d'arriver aux Indes en contournant l'Afrique. II ne fallait rien moins que l'expédition de Vasco de Gama, à la fin du XVe siècle, pour détruire cette erreur.
La naissance de la géographie physique
Avant de nous engager dans le Moyen âge, il convient de résumer les principales notions de la géographie physique des Anciens. Nous avons exposé leur géographie mathématique et cité leurs oeuvres descriptives; il faut dire sommairement quelles conceptions ils se faisaient des phénomènes naturels qui donnent à la surface terrestre son modelé et sa physionomie.
Thalès(ca. 636-546 av. J.C) pensait que le relief résultait de l'action des eaux qui se retirant s'étaient concentrées dans la mer; Héraclite l'appliquait à l'action du feu qui avait soulevé les hauteurs. On sait que ces deux hypothèses ont encore divisé les géologues jusqu'à l'époque moderne. La croyance que la Terre flottait sur l'Océan laissa longtemps des vestiges, de même que l'ayant envisagée comme un disque plat, on lui attribua volontiers une inclinaison; la Méditerranée représentait le creux central; Hécatée trouvait naturel que le Nil vint y aboutir ayant son origine dans l'Océan méridional. La théorie du feu central fut professée par Empédocle s'appuyant sur l'observation des éruptions volcaniques et des sources thermales. Il est vrai qu'on était plus disposé à attribuer les tremblements de terre à l'action marine. On avait observé les mouvements d'émersion ou d'immersion de certains rivages, notamment le soulèvement de celui de la Libye, attesté par les coquillages marins qu'on recueillait dans les terres. On sait que plus tard les chrétiens se satisfirent par l'adoption du mythe du Déluge.
La classification des diverses formes du relief, continent, îles, presqu'îles, plaines, vallée, etc., était la même que la nôtre. On avait tenté de mesurer les hauteurs; après les essais de Dicéarque, Hipparque, Ménélaus, Ptolémée employèrent la trigonométrie, ce qui perfectionna les résultats. Les montagnes réputées les plus hautes étaient le Caucase, le Paropamise, l'Imaüs en Asie; l'Atlas et le Char des Dieux en Afrique (Le Périple de Hannon); les Alpes et les monts Sarmatiques en Europe. Naturellement, les monts qui plongent sur la mer attiraient plus l'attention. On avait observé un grand nombre de volcans, à chacun desquels se rattachaient des légendes. De même aux cavernes creusées dans les montagnes. Les poètes du premier âge faisaient venir les eaux douces de l'Océan par des canaux souterrains.
Platon et Hippocrate admettaient qu'à côté des petites sources alimentées par les eaux pluviales, d'autres l'étaient par une canalisation souterraine, la pression de l'air enfermé sous terre faisant jaillir ces eaux à la surface. Des explications analogues furent proposées par Aristote, Sénèque, etc. L'hydrographie était peu scientifique; une des imaginations favorites des Anciens était de faire bifurquer les fleuves dans leur cours moyen; le Danube dirigeant une branche vers l'Adriatique, une autre vers la mer Noire; le Nil en ayant une vers l'Atlantique, l'autre vers la Méditerranée, etc. On mesurait la profondeur des mers avec la sonde, mais sans aller bien loin; c'est donc une simple hypothèse qu'assigner 3500 m à la Méditerranée; on déclara le Pont-Euxin et l'Océan sans fond, ou du moins insondables. On avait observé la température, la densité, la salure des eaux marines. On avait d'abord attribué tous leurs mouvements à l'action des vents. Mais lorsqu'on constata dans l'Océan de véritables marées, on reconnut (comme l'avaient fait les Phéniciens) l'action de la Lune ; bien que toute sorte d'autres explications aient été proposées : courant des fleuves (Platon) ; respiration du corps terrestre (Plutarque); atmosphère échauffée par le Soleil (Aristote, Héraclide), etc.
On proposa une classification des vents dont Aristote avait remarqué les alternances périodiques. On accepta de bonne heure la division en quatre saisons, commode au moins pour l'Europe. Encore que plus tard, on en compta parfois sept : printemps, semailles, premier et second été, automne, hiver, premier printemps. Naturellement on jugeait que le climat de la Libye était un éternel été, celui de la Scythie un éternel hiver. On observa que la température décroissait avec l'altitude, et Ptolémée (IIe siècle ap. J.-C) plaça des montagnes neigeuses sous l'équateur. On était disposé à croire que les animaux étaient d'autant plus grands qu'on avançait vers l'équateur, région des éléphants; de même la couleur des humains de plus en plus foncée. L'ethnographie était toute imprégnée de mythes. Malgré tout ce qui a été raconté des Scythes, il aura fallu attendre l'époque contemporaine pour savoir les identifier. Les sciences biologiques, malgré les recherches d'Aristote et de Pline, n'avaient pas abouti à constituer une géographie botanique ni une géographie zoologique. On voit que les géographes antiques, malgré leurs efforts pour donner à la cartographie un fondement mathématique solide, étaient loin de satisfaire aux exigences de la science. Mais, comparés à ceux du Moyen âge, ils ont une éclatante supériorité.
2007-02-07 06:34:36
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answer #3
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answered by solilote 3
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