PRÉSENTATION DE LA CONSCIENCE
conscience, perception et connaissance de soi-même, de ses actes et du monde.
Le mot « conscience » vient du latin conscientia qui signifie « accompagné de savoir ». Être conscient, c’est donc penser, agir ou sentir tout en sachant que l’on pense, que l’on agit ou que l’on sent.
DIFFÉRENTS TYPES DE CONSCIENCE
La conscience est dite spontanée ou directe si elle est intentionnelle, c’est-à-dire portée vers l’objet auquel on fait attention à un moment particulier. Elle est réfléchie au sens où elle donne à l’homme la capacité de revenir sur ce qu’il pense, ce qu’il vit, sent ou fait ; l’individu porte alors attention à l’état de conscience lui-même. Enfin, elle est dite psychique lorsqu’elle rend le sujet capable de percevoir sa propre activité psychique et d’en revenir comme saisi de lui-même. Avant René Descartes, le terme de conscience était généralement lié à l’action et entendu dans le sens de conscience morale désignant ce retour sur soi par lequel nous savons que nous agissons, en même temps que nous portons un jugement sur nos actions. La conscience morale implique donc la reconnaissance de certaines valeurs et la libre adhésion à ses valeurs. En ce sens, on dit qu’elle est normative. Y aurait-il donc plusieurs consciences en l’homme sans liens les unes avec les autres ?
RENÉ DESCARTES ET LA PRIMAUTÉ DE LA CONSCIENCE DE SOI
Le cogito cartésien
La conscience liée à la pensée est « née » avec René Descartes lorsque celui-ci a mis en évidence que le « je pense » était le premier principe métaphysique et la condition de toute certitude. Le cogito cartésien se présente comme la prise de conscience fondamentale qui va rendre possible toutes les autres. Il est issu du doute hyperbolique mis en place dans la méthode cartésienne. Le doute en tant que forme de pensée implique l’existence du sujet qui par le fait de douter a conscience d’exister.
Penser le « je pense »
Mais, par opposition aux sceptiques, René Descartes ne fait pas du doute un principe systématique ; celui-ci est méthodique et ne constitue qu’un moyen temporaire pour parvenir à la conclusion que « même si je doute de tout, je ne peux pas douter que je suis en train de douter ». Or, ce mouvement qui consiste à penser le « je pense » par un retour sur soi correspond précisément à celui de la conscience de soi.
Il ne s’agit cependant pas pour René Descartes de démontrer rationnellement l’existence de la conscience, mais d’en affirmer l’évidence intuitive. En quelque sorte, le recours à l’ordre de l’intuition contourne les écueils de la raison qui peut toujours être dupée par le « Malin Génie » dont René Descartes formule l’hypothèse dans les Méditations métaphysiques.
Conscience et connaissance : unité et multiplicité
« Si je ne peux pas savoir ce que je suis avec la simple conscience, je peux déjà savoir que je suis ». Cette reconnaissance du sujet par lui-même va ainsi permettre l’unification des différents états de conscience. Pour Emmanuel Kant également, le « je pense » doit pouvoir accompagner toutes mes représentations : « toutes les représentations, connaissances, expériences que je fais sont unifiées autour de ce “Je pense”, sinon j’aurais un moi aussi divers et aussi bigarré qu’il y a de représentations dont j’ai conscience ».
Grâce à la conscience, on accède donc au monde de la subjectivité, on sait que l’on est en tant que sujet. En ce sens, la conscience est la condition première de toute connaissance : de soi, puis du monde.
LA PORTÉE DE LA CONSCIENCE : LA CONSCIENCE ET LE MONDE
Au-delà du moi
Le fait d’être conscient constitue donc pour l’homme un événement qui le pose non pas seulement dans le monde comme tout être vivant, mais face au monde. Grâce à la conscience de soi, l’homme est capable de prendre du recul par rapport à ce qui lui est extérieur et de l’envisager comme un objet à connaître, à admettre ou à transformer à chaque nouveau regard. Cela suppose en effet qu’une conscience de soi ait déjà permis à l’homme de s’identifier et de se positionner par rapport au monde extérieur.
Edmund Husserl : conscience et sens
Ainsi, d’après Edmund Husserl, « toute conscience est conscience de quelque chose ». Se rapporter à quelque chose suppose donc une mise à distance du sujet à l’objet qu’il vise. Portée sur un objet qui lui est extérieur, la conscience ne peut donc pas se confondre avec elle-même. Mon enfance, par exemple, à laquelle je fais face à l’instant, est bien mon enfance ; elle n’est pourtant pas totalement moi, qui au moment où j’y pense m’y rapporte. La conscience est intentionnelle au sens où elle est tendue vers ce qui n’est pas elle.
Pour Edmund Husserl, la conscience n’est donc pas un produit physiologique ou social dont le contenu est commun à tous les hommes, elle est essentiellement source de sens : « toute conscience est donatrice, fondatrice de sens ». Elle fait exister le monde pour nous, elle impose et développe tout un réseau de significations autour de nous qui oriente notre perception du monde.
Karl Marx et le déterminisme social
En revanche, selon Karl Marx, « la conscience que chaque homme a de lui dépend du monde qui l’entoure et dépend surtout de l’état économique et matériel de la société. La conscience est le reflet de la société et elle subit tous ses bouleversements. » Dans l’histoire de la philosophie, l’origine de la conscience morale était tantôt considérée comme le résultat de directives extérieures progressivement assimilées par le sujet — l’éducation ou la volonté divine —, tantôt comprise comme venant du sujet lui-même — la sensibilité ou la raison. Avec Karl Marx et le matérialisme historique, c’est la conscience de soi qui est conditionnée par l’extériorité et qui s’offre comme un reflet du monde social.
L’idéologie comme « ensemble d’idées erronées produit par la classe dominante qui explique le monde à partir de son point de vue » subit aussi l’influence de la base matérielle et économique de la société : « Les hommes se sont toujours fait jusqu'ici des idées sur eux-mêmes, sur ce qu'ils sont ou devraient, c'est d'après leurs représentations de Dieu, de l'homme normal, etc., qu'ils ont organisé leurs relations. Les inventions de leur cerveau ont fini par les subjuguer. Eux les créateurs, ils se sont inclinés devant leurs créations. »
Aux yeux du matérialisme marxiste, la conscience est prédéterminée et uniformisée par les conditions matérielles de son existence, à son insu. Elle est dupée par la société qui forge pour elle des représentations spécifiques. Les conditions de sa légitimité dans le processus de connaissance restent encore à définir. Notre conscience peut-elle en effet rester vierge de toute influence ?
LES LIMITES DE LA CONSCIENCE
Conscience et subjectivité
À supposer que la conscience individuelle puisse s’épanouir au-delà de cette conscience collective que dénonçait Karl Marx, elle reste avant tout une instance qui donne sens, elle est par essence relative puisqu’elle découle de l’expérience de chacun. La conscience est le reflet de la subjectivité, et par conséquent, elle ne peut pas être considérée comme un modèle de vérité absolue ni comme une expérience communicable à autrui. De plus, nous n’avons pas toujours conscience de tout ou nous pouvons être influencés par nos sentiments ou par des événements.
La conscience est tantôt partielle, tantôt sélective et tributaire de nos sens. N’a-t-on pas le sentiment que plus on cherche à s’atteindre, plus le Moi recule ? Il semble que nous n’accédions qu’à certains aspects de notre personnalité, c’est le sens de la célèbre formule de Rimbaud « Je est un autre ». D’autre part, dire que la conscience révèle le sujet à lui-même, cela ne signifie pas qu’elle le révèle toujours clairement et totalement. La conscience de soi est aussi limitée dans le temps : la prise de conscience n’atteint que ce que je suis actuellement, même si elle peut être conditionnée par des événements passés. La conscience est un mode subjectif de connaissance et nous avons bien d’autres moyens de nous connaître qui sont parfois plus sûrs.
Paradoxes de la conscience
Jean-Paul Sartre affirme : « ce que je suis par principe ne peut pas être objet pour moi », au sens où je ne peux être à la fois sujet et objet de ma connaissance. La position sartrienne s’établit donc comme une négation du solipsisme cartésien. La connaissance de soi passe alors par ce qu’il nomme « l’intersubjectivité », c’est-à-dire par le regard d’autrui : ce n’est pas dans la solitude que l’on prend conscience de soi, mais au cœur du monde et des autres. La conscience comme rapport à soi devient également rapport à autrui. Le face-à-face cartésien — entre soi et soi-même — serait donc conditionné par l’environnement affectif, intellectuel et social dans lequel il a lieu. Le « Je » n’est-il alors qu’un jeu de mots, qu’une illusion ou qu’une fiction ? Peut-on désigner la réalité à laquelle il renvoie ?
La connaissance de soi, loin d’être acquise, est un défi permanent ; c’est ce que nous rappelle l’exhortation de Socrate : « connais-toi toi-même ». La connaissance de soi apparaît comme un idéal jamais atteint, objet d’un progrès à l’infini puisque la conscience de soi est déjà une gageure.
Au-delà, la conscience est marquée par un paradoxe irréductible : parce qu’elle permet à l’homme de répondre de soi, elle l’« élève infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants » et lui confère ainsi une dignité propre, mais parce qu’elle l’arrache à l’innocence du monde naturel, l’homme prend du même coup la mesure de sa misère. Blaise Pascal a symbolisé cette conscience métaphysique et malheureuse dans ses Pensées en comparant l’homme à un roseau pensant : « il ne faut pas que l’Univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais si l’Univers l’écrasait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’Univers a sur lui, l’Univers n’en sait rien. »
Conscience et doute
La conscience n’est donc pas uniquement une caractéristique parmi d’autres qui servirait à définir l’humain et sa condition. Elle est ce par quoi l’homme a le devoir de se penser et de s’interroger ainsi que de penser le monde et de l’interroger. Car, entre la distance que la conscience instaure entre soi et le monde ou entre soi et soi, un horizon s’étend qui est celui du doute, du questionnement et de la curiosité. En ce sens, on peut donc affirmer que la conscience, avant d’être une question pour la philosophie, est la condition a priori de son exercice.
La conscience, premier pas vers la connaissance de soi et du monde semble souvent nous échapper car elle peut être influencée par ce qui n’est pas elle : le corps pour Baruch Spinoza puis Sigmund Freud, la société pour Karl Marx ou les instincts les plus vils pour Friedrich Nietzsche. Si le sens d’une majorité de pensées et d’actes échappe à l’homme, peut-il encore être jugé responsable de ce qu’il pense et de ce qu’il fait ? Baruch Spinoza ne nous dit-il pas que « l’expérience elle-même n’enseigne […] pas moins clairement que la raison que les hommes se croient libres pour la seule raison qu’ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés ; elle montre en outre que les décrets de l’esprit ne sont rien en dehors des appétits mêmes, et sont, par conséquent, variables selon l’état du corps » ?
Conscience de soi ou conscience contre soi ?
La simple conscience de soi donne seulement accès à une apparente unité personnelle. Loin d’être une réponse, elle se déclare comme un problème à résoudre. Aussi, la vérité du moi n’est-elle pas donnée dans un simple être de fait, elle s’obtient au terme d’un effort qu’une figure tragique comme Œdipe manifeste pleinement, par lequel ce moi se réapproprie et se juge. Enfin, les mots de Sénèque « pour se connaître, il faut s’être éprouvé » posent que la conscience est le premier et l’ultime combat de l’homme contre lui-même.
THEORIE DE LA CONNAISSANCE
PRÉSENTATION
connaissance, théorie de la, étude philosophique des sources, des contenus et des procédés de la connaissance humaine. La théorie de la connaissance cherche à définir de manière très générale les conditions qui permettent l'acquisition ou la découverte du savoir (qu'il faut distinguer de l'opinion et de la croyance). On distingue en général les savoirs selon leur origine (empirique ou intellectuelle), selon leur objet, qui peut être mathématique, physique ou métaphysique, et selon leur degré de certitude, de clarté ou de distinction. La théorie de la connaissance a parfois une vocation « critique », lorsqu'elle se propose de déterminer les limites ou les bornes de la connaissance possible.
LE PROBLÈME DE LA CONNAISSANCE DANS LA PHILOSOPHIE GRECQUE ET MÉDIÉVALE
On doit les premières élaborations théoriques sur la connaissance aux philosophes présocratiques, vers le Ve siècle av. J.-C. Héraclite et Parménide sont peut-être les premiers penseurs à rechercher un principe unificateur du réel (le Devenir, l'Être-Un), dont l'appréhension permettrait de libérer les hommes tout à la fois des apparences trompeuses et de l'opinion. Cette recherche se heurte à l'attitude quotidienne, qui ne prête foi qu'aux apparences, et au scepticisme ordinaire, qui déclare que toutes les opinions se valent. Solidaires de ces attitudes à la fois relativistes et phénoménistes, les sophistes déclaraient avec Protagoras (et contre les philosophes) que « l'homme est la mesure de toute chose », révélant ainsi pour la première fois la part irréductible du sujet dans toute connaissance.
Platon, qui assume et développe l'enseignement oral de Socrate, entend résoudre la crise introduite par les sophistes en séparant radicalement le monde des objets connaissables et l'univers sensible de la perception quotidienne. La vraie connaissance a pour objet des êtres purement intelligibles, dont les phénomènes du monde sensible ne sont que des imitations affaiblies et trompeuses. La possibilité, pour l'homme, d'accéder par la connaissance à ces êtres intelligibles ou Idées révèle une parenté, une « consanguinité » de l'âme et des objets du monde idéal. La connaissance est donc, pour Platon, une sorte de réminiscence, un retour de l'âme vers son état premier — celui d'une contemplation originelle des idées — antérieur à l'exil dans le monde matériel.
Aristote en revanche soutenait qu'une véritable connaissance s'élabore toujours sur la base de l'expérience et de la perception sensible (aisthesis). Par la suite, grâce aux capacités d'abstraction de l'esprit et à l'instrument de la logique, la science peut s'accomplir en une connaissance véritablement déductive, qui procède des causes aux effets et accède finalement à une intelligibilité extra-empirique, comme celle qui régit la « métaphysique ».
La méthodologie aristotélicienne de la science et l'idée que toute connaissance vient originellement de l'expérience irriguèrent la pensée scolastique médiévale (notamment chez saint Thomas d'Aquin), non sans susciter, au Moyen Âge, des oppositions fortes comme celle des nominalistes, pour lesquels il n'y a de connaissance que du particulier, les essences abstraites étant des fictions de l'esprit sans répondant dans les choses.
LA THÉORIE DE LA CONNAISSANCE À L'AUBE DE LA SCIENCE MODERNE
Les débuts du XVIIe siècle sont l'occasion d'une profonde restructuration de la connaissance, à la fois dans ses contenus (c'est le début de la science moderne) et dans sa forme. On peut indiquer trois grandes direction nouvelles :
— avec Galilée, Descartes, puis Newton, on découvre que les mathématiques offrent non seulement un modèle de connaissance exacte, mais également un véritable langage pour poser les bonnes questions à la nature : c'est le début de la physique mathématisée qui, aujourd'hui encore, modèle notre compréhension de la nature et de la science ;
— la philosophie mécaniste et le renouveau de l'atomisme conduisent à privilégier la recherche des causes mécaniques ou « efficientes » des phénomènes plutôt que leurs causes finales ou formelles. Ce changement de registre dans l'intelligibilité est capital car il implique que la science, comprenant le mécanisme des choses, peut à son tour devenir active et maîtriser les processus naturels pour les faire servir aux fins de l'humanité.
— enfin, le thème d'un fondement subjectif commun à toutes les connaissances humaines trouve dans la philosophie de Descartes une impressionnante réalisation métaphysique : le « je pense, donc je suis », cette première vérité absolument indubitable, offre par son évidence à la fois le critère et l'origine première de toute vérité ultérieure.
Il faut remarquer que cette approche métaphysique de la connaissance se heurte dès le XVIIe siècle à de fortes résistances, particulièrement en Angleterre. On y rencontre en effet une tradition empiriste spécifique qui ne renoue pas directement avec l'aristotélisme, mais se dégage des nouvelles pratiques expérimentales, notamment celles de la médecine ou celles permises par le développement des instruments d'optique. La volonté de réformer la science et fonder le savoir sur de nouvelles bases stables ne passe plus, comme chez Descartes, par une conversion du regard vers la subjectivité, mais s'accomplit dans l'idéal d'une recherche expérimentale : l'exploration des phénomènes cachés et le déchiffrement du livre de la nature.
La philosophie de la connaissance qui répond à cette tradition nouvelle est celle de John Locke et de David Hume. Pour ces deux auteurs, la connaissance est empirique non seulement dans son contenu (il n'existe pas d'idées innées) mais dans son élaboration formelle. Chez Hume en particulier, le sujet de la connaissance, le moi, n'est plus un être substantiel, une âme : c'est simplement l'instance coordonnante des sensations, dont l'activité est régie par les lois de l'association et de l'habitude. La connaissance, qui réside dans le repérage des connexions constantes entre les idées ou les impressions sensibles, se voit par là même privée de toute garantie d'objectivité, d'universalité et de nécessité.
KANT ET LA RÉVOLUTION COPERNICIENNE
Emmanuel Kant essaya de résoudre la crise sceptique ouverte par l'empirisme de Hume. Il ressentait que la nouvelle science newtonienne de la nature, qui applique si brillamment la nécessité des mathématiques à l'explication des phénomènes, ne pouvait pas se satisfaire d'une philosophie sceptique, pour laquelle l'existence de lois nécessaires serait injustifiable. Aussi proposa-t-il de réformer radicalement la manière de penser la connaissance, conformément à ce qu'il appelait une « révolution copernicienne ». Chez Kant, ce n'est plus la connaissance qui est appelée à se conformer à son objet, mais c'est l'objet qui, en tant que « phénomène », se règle sur la connaissance. Ainsi, le sujet impose aux choses à la fois la forme de leur apparaître empirique (la spatio-temporalité) et les règles de leurs connexions nécessaires (les concepts purs de l'entendement, comme la causalité). Dans la Critique de la Raison pure, Kant se propose de définir les conditions de possibilité de cette constitution objective et il conclut qu'elle n'est légitime que pour les objets susceptibles d'être donnés dans une expérience. En dehors de l'expérience, dans le champ de la métaphysique, Kant montre que la raison ne peut forger que des fictions vouées aux antinomies et aux paralogismes.
Les philosophes post-kantiens, dits idéalistes, comme Fichte, Schelling et Hegel, cherchèrent à aller plus loin que Kant sur le chemin qu'il avait ouvert à une théorie de la connaissance centrée sur le sujet. Ils tentèrent de résorber le résidu d'empiricité du kantisme en montrant que la matière même des phénomènes n'est pas une donnée extérieure suscitée par le choc des « choses en soi » sur le sujet connaissant, mais un produit secret de l'Esprit lui-même. Hegel en particulier entendait montrer que la connaissance n'est pas un processus extérieur à l'objet, et que l'Esprit véritable se reconnaît lorsqu'il prend conscience qu'il n'est pas différent du monde qu'il constitue par la pensée.
THÉORIES CONTEMPORAINES
Parmi les philosophes de l'époque contemporaine, nombreux sont ceux qui, depuis Nietzsche ou Marx, ont dénoncé la place privilégiée accordée à la connaissance et à son idéal objectiviste dans la problématique philosophique. Ils soulignèrent les conditionnements historiques et les illusions métaphysiques sur lesquelles se sont édifiées les connaissances humaines. Heidegger s'inscrit dans cette tradition critique en avouant qu'il y a dans l'attitude cognitive une manière d'être impropre ou inauthentique à l'égard du monde.
En revanche, Husserl est le philosophe contemporain qui a mis le plus d'espoir dans l'idéal d'une « philosophie comme science rigoureuse » du connaître. La phénoménologie husserlienne se présente ainsi comme une méthode descriptive des pures données de conscience dont l'« intentionnalité » (le fait d'être directement en rapport avec l'objet qu'elles visent) permet d'accéder aux relations constitutives et essentielles des choses mêmes.
Une autre démarche contemporaine radicale est celle du positivisme, qui entend réduire tous les problèmes philosophiques de la connaissance à ceux de la méthodologie des sciences, en refusant explicitement le recours à des énoncés métaphysiques.
Cette attitude positiviste alimenta divers courants de pensée, au nombre desquels on peut compter l'école américaine du pragmatisme, fondée par les philosophes Charles Sanders Peirce, William James et John Dewey au tournant du siècle. Les pragmatistes défendaient l'idée que la connaissance est un instrument d'action et que toutes les croyances doivent être jugées en fonction de leur aptitude à servir de règles pour prédire les expériences.
Une autre école est celle du positivisme logique, qui prend naissance dans les travaux du Cercle de Vienne (1913) et des philosophes logiciens Carnap et Wittgenstein (dans sa première période). Elle témoigne d'un espoir, assez vite déçu, pour énoncer les règles d'un langage scientifique universel, fondé uniquement sur des critères de validité logique, et auquel toute forme de connaissance devrait se conformer.
Le dernier de ces récents courants de pensée est celui que l'on appelle généralement analyse linguistique (voir Analytique et linguistique, philosophie), dans lequel la philosophie du langage ordinaire semble rompre avec l'épistémologie traditionnelle. L'analyse linguistique tente d'examiner la façon concrète dont sont utilisés les termes et de formuler les règles définitives de leur usage, afin d'éviter les confusions inhérentes aux langues naturelles complexes.
SOCIOLOGIE DE LA CONNAISSANCE
PRÉSENTATION
Sous-discipline de la sociologie étudiant la manière dont les cadres et les pratiques au sein d’une société conditionnent l’émergence, la constitution et la diffusion de la connaissance.
Inversement, la sociologie de la connaissance traite aussi de la manière dont la connaissance peut influencer les pratiques sociales et la culture.
ORIGINES : DES THÉORIES PHILOSOPHIQUES À L’APPROCHE SOCIOLOGIQUE
Du positivisme de Comte à l’idéalisme de Hegel
Si la sociologie de la connaissance n’émerge au sens propre qu’au XXe siècle, les questionnements portant sur la connaissance, et plus particulièrement sur les sciences, marque toute l’histoire de la philosophie. De l’Antiquité, avec Platon notamment, à la Renaissance, avec Francis Bacon, ce sont essentiellement les conditions de validité de la science qui intéressent les philosophes.
Dépassant cette question, certains philosophes des Lumières (Rousseau, Montesquieu, Condorcet) posent directement le problème des relations entre les cadres sociaux et la connaissance. Pour Condorcet, l’évolution des connaissances est intimement liée à l’évolution du progrès social. C’est dans cette même perspective que s’inscrit le modèle de Saint-Simon, repris et élaboré dans la première moitié du XXe siècle par le père fondateur de la sociologie Auguste Comte. Dans sa théorie des trois états, ce dernier affirme que l’esprit humain passe, au cours des âges, par trois états : l’état théologique ou fictif, où le monde s’explique par la volonté divine, l’état métaphysique ou abstrait, où la philosophie permet de comprendre le monde, et, enfin, l’état positif ou scientifique, où la connaissance découle de l’observation des faits et de l’expérience. Dans ce modèle d’évolution continue, le progrès de la science détermine le progrès social. D’après Auguste Comte, l’évolution de la pensée humaine doit constituer l’objet principal de la nouvelle discipline sociologique. À la même époque, l’idéalisme de Hegel présente des similitudes avec le positivisme de Comte. Le philosophe allemand considère l’histoire des sociétés comme une succession de stades intellectuels progressant vers une connaissance absolue.
Karl Marx et le matérialisme
À partir du milieu du XIXe et du début du XXe siècle, les pionniers de la sociologie s’emparent du champ de la connaissance, tant en Allemagne qu’en France. Karl Marx conceptualise les relations entre les cadres sociaux et les modes de pensée en prenant une perspective matérialiste opposée à l’idéalisme de Hegel. Marx insiste effectivement sur le déterminisme qu’exerce le mode de production d’une société sur les formes de conscience, la loi, la religion, la philosophie et l’éthique, autant de concepts qu’il regroupe sous le terme d’« idéologie ». Il attache à l’idéologie une dimension erronée et illusoire, en ce qu’elle masque les rapports d’exploitation et les luttes de classes dans l’intérêt des classes dominantes. Pour Marx, ce n’est que dans une société sans classe, et donc sans lutte ni rapport d’exploitation, que peut émerger une connaissance impartiale et objective qui ne servirait pas à légitimer les intérêts d’un groupe particulier. Toutefois, malgré ce point de vue relativiste, Marx n’exclut pas l’existence d’une connaissance non idéologique. Sa théorie n’englobe pas les sciences économiques, naturelles, physiques, mathématiques, etc. Par ailleurs, s’il attribue à la philosophie et la politique une dimension idéologique, il ne les remet pas en cause dans leur essence, mais il met plutôt en question leur objet et leur orientation.
Émile Durkheim
En France, au début du XXe siècle, le sociologue Émile Durkheim va plus loin que Marx. Il ne met pas simplement en cause le contenu de la connaissance, mais également les catégories de la pensée. Il affirme que « l’opération mentale » par laquelle les sociétés sans écriture classent les choses, les événements et les faits dans le monde au sein duquel elles vivent est modelée par les formes d’organisation sociale. Généralisant ce point de vue, il assure que même les catégories de pensée les plus simples (espace, temps, cause, nombre, etc.) dépendent de la manière dont la société s’organise. Chaque société introduit donc une dimension subjective dans ses constructions logiques. En outre, contrairement au matérialisme marxiste, Durkheim insiste sur le fait que les idées peuvent avoir une existence en elles-mêmes et ainsi exercer une influence autonome sur l’action et les pratiques sociales des membres de la société. Enfin, s’il reconnaît le caractère relatif de la connaissance, il affirme en revanche que plus les « représentations collectives » s’élargissent à un nombre important d’individus, plus elles sont susceptibles d’être valides.
CONSTITUTION DE LA DISCIPLINE
C’est au début des années 1920, dans l’Allemagne de la République de Weimar qu’est instituée la sociologie de la connaissance (Wissenssoziologie). Max Scheler et Karl Mannheim figurent parmi ses fondateurs.
Scheler s’oppose à la fois aux marxistes et à Comte. Rejetant le progrès positif et continu de la connaissance envisagé par Comte, il affirme qu’il existe plusieurs types de connaissances (scientifique, théologique, etc.) coexistant dans les sociétés et qu’en fonction de celles-ci, tel ou tel type sera valorisé plus qu’un autre. Si la connaissance positive se voit accorder une place dominante dans la société occidentale, ce n’est pas le cas en Orient et dans les autres sociétés. Scheler souligne parallèlement que les facteurs « réels », que Marx réduisait à l’économie, sont en réalité multiples (parenté, politiques, etc.) et qu’ils agissent de manière différente au sein des sociétés et au cours des périodes envisagées. Enfin, contrairement au relativisme de Marx, il considère qu’il existe une connaissance objective indépendante des variables sociologiques et que la sociologie de la connaissance doit se détacher de l’épistémologie (qui porte sur la validité des énoncés scientifiques) pour se concentrer sur les conditions sociales de production de la connaissance.
De son côté, Mannheim généralise le point de vue relativiste marxiste pour affirmer que toute connaissance est idéologique. Néanmoins, il propose une approche plus nuancée visant à préciser le contenu des relations entre les cadres sociaux et la connaissance. Selon lui, il ne suffit pas simplement d’envisager la connaissance en fonction de la classe sociale de laquelle elle émerge mais plutôt de considérer également la position de ceux qui produisent la connaissance. En d’autres termes, il s’agit d’appréhender les multiples relations dans lesquelles sont impliqués les chercheurs ou les intellectuels selon leur âge, leur groupe social, leur profession, leur école, etc. Mannheim appelle donc au développement de recherches empiriques qu’il initiera personnellement.
DIVERSIFICATION ET ÉVOLUTION DE LA DISCIPLINE
La période suivant les travaux des fondateurs de la discipline jusqu’aux années 1960 est certainement la plus fructueuse et la plus dynamique pour la sociologie de la connaissance. C’est d’ailleurs à cette époque que les chercheurs soulignent la diversité et l’étendue des problèmes et des objets sur lesquels doit se pencher la sociologie de la connaissance. Ils sont d’autant plus orientés dans cette voie dans un contexte marqué par le développement et la spécialisation accrue des sciences et des techniques.
Les efforts de conceptualisation de Georges Gurvitch permettent de préciser ce que recouvre la notion de connaissance et de mettre en lumière la complexité des corrélations qui prévaut entre elle et les cadres sociaux.
Car si Mannheim appelait à une précision du contenu des cadres sociaux, sa définition de la connaissance restait floue et large. Pour Gurvitch, les cadres sociaux doivent être envisagés en fonction des niveaux de la réalité sociale : société globale, groupes sociaux, individus. Concernant les connaissances, il en distingue plusieurs genres (connaissance perceptive du monde extérieur, connaissance de l’autre, sens commun, connaissance politique, connaissance scientifique, etc.). Ces connaissances peuvent également prendre plusieurs formes suivant qu’elles sont spéculatives ou positives, collectives ou individuelles, empiriques ou conceptuelles, etc.
Sous l’impulsion de Robert Merton, qui procède également à un inventaire systématique des types de connaissances, ses étudiants mettent en œuvre des recherches empiriques.
C’est alors la question de la diffusion de la connaissance à travers les structures sociales qui est abordée, notamment par l’Américain Florian Znaniecki, dans les années 1940.
Il s’agit de tenir compte des rôles des personnes qui inventent ou transmettent cette connaissance et de leur relation au public.
Cette réorientation ouvre par la suite de vastes terrains d’enquête. La sociologie de la connaissance s’intéresse aux modalités de diffusion des savoirs dans le domaine de l’enseignement.
Elle se donne également pour projet l’étude des moyens et des instruments de diffusion (médias audiovisuels), ainsi que l’étude des langages et des symboles de la communication. Enfin, elle s’intéresse aux modalités de réception de la connaissance. Un champ privilégié de recherche est celui constitué par la communication politique et les conditions de développement de ce type de connaissance.
S’imposant aux autres disciplines de la sociologie (sociologie linguistique, de l’éducation, des sciences, politique, etc.), la sociologie de la connaissance est plus ou moins incorporée à celles-ci. Elle perd donc sa spécificité et son autonomie. Dans les années 1960, certains sociologues américains, tels que Peter Berger et Thomas Luckmann, tenteront de lui redonner sa particularité en la réorientant vers l’analyse de la connaissance de « l’homme de la rue ».
CONCEPTIONS CONTEMPORAINES
Il faut attendre la fin des années 1980 et le début des années 1990 pour que cette discipline connaisse un regain d’intérêt et reprenne son autonomie et sa spécificité.
Ceci intervient surtout aux États-Unis sous l’influence des approches post-modernistes, post-colonialistes, féministes, de la réorientation des marxistes sur des études plus empiriques portant sur les pratiques et les formations discursives, et enfin, à la suite de l’intérêt porté aux travaux de chercheurs français tels que Pierre Bourdieu et Michel Foucault.
S’inscrivant dans la perspective constructiviste de Berger et Luckmann, les nouvelles recherches envisagent la connaissance comme le produit d’un processus de construction sociale permanente.
Ces recherches toujours plus empiriques envisagent tant les connaissances scientifiques que l’idéologie politique et religieuse ou encore les discours de la vie quotidienne.
2006-12-18 11:41:59
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