I
Arrivé devant la porte de la vie, l'homme fut affronté à deux créatures, toutes deux très belles, quoique leur beauté ne semblait pas venir de la même nature.
Celui qui se postait à gauche de la porte prit immédiatement la parole :
"Je suis le dieu unique de ce monde. Si tu acceptes de me suivre, je te donnerai tout ce que tu voudras."
"Que pourra-tu me donner ?" répondit l'homme.
"Tout ! Le pouvoir, l'argent...", puis, avec un sourire, "même les femmes, si tu veux...."
La créature de droite ne disait rien.
L'homme lui jeta un regard interrogateur... "Et toi, que me donnera-tu ?"
"Rien de tout cela", répondit-il. Puis il demeura silencieux.
L'homme continua : "Es-tu dieu, toi aussi ?"
"Je ne suis pas Dieu", répondit la créature. Puis elle se tut.
Curieusement, le silence de la seconde créature semblait attirer l'homme plus que les propositions de la première. Quand il avait prononcé le mot "Dieu", il avait paru plus beau encore. Il semblait cacher dans sa main quelque chose qui avait forme de clé. L'homme devint perplexe, et la créature de gauche le remarqua tout de suite. Il aurait voulu contre-attaquer, mais la créature de droite n'avait rien proposé...
"Peux-tu me parler de Dieu ?" Demanda l'homme à la seconde créature.
Cette dernière regarda sur sa droite. Le démon semblait à l'arrêt, prêt à attaquer toutes les paroles qui sortiraient de sa bouche.
"Que veux-tu savoir sur Dieu ?"
L'homme demanda : "Que me donnera-t-il ?"
"Des promesses !" attaqua le démon. "Rien que des promesses !" Puis, s'apercevant avec colère de son erreur, il s'étrangla. Il avait parlé trop vite.
"Dieu te donnera la vie éternelle."
L'homme s'éveilla de son rêve, et partit sur le chemin.
II
L'homme marchait déjà à flanc de montagne quand un orage éclata au niveau du col. Il s'étonna alors, sa voix intérieure lui ayant dit de continuer la route : "tu es de ceux du peuple en marche", avait-elle dit. "Ne t'arrête dans aucune demeure". Il méditait ces pensées quand la prophétesse du village en contrebas monta vers lui :
"Tu ne dois pas continuer pour le moment, c'est trop dangereux. Descend au village".
On ne discutait pas les ordres de la prophétesse, cela portait malheur. Elle s'était positionné entre l'homme et la suite du chemin, si bien que l'homme ne pouvait plus l'éviter. Sa présence exerçait une pression si forte que l'homme, pour la première fois, s'angoissa. L'orage grondait au loin, et les éclairs impétueux s'ajoutaient aux menaces de la femme. Après un instant de réflexion, il lui demanda :
"Que m'arrivera-t-il, si je continue ?"
Mais elle rétorqua avec agacement : "Tu ne dois pas continuer !"
L'homme s'alarma d'avantage : l'attitude de la prophétesse devenait maintenant plus menaçante que l'orage lui-même, mais il ne savait pas comment lui rétorquer. Les arguments n'étaient pas son fort, et la femme ne semblait pas diposée au dialogue. Il força la route et s'enfuit en courant, les cris de colère de celle à qui il avait désobéi le poursuivant :
"Quand tu sera perdu, ça ne sera pas la peine de venir pleurer!"
Désormais, il devrait marcher seul.
Rapidement, l'orage se calma, et il constata, arrivé à la hauteur du col, que c'était la prophétesse elle-même qui l'avait déclenché.
III
C'est alors que l'homme rencontra le premier vrai prophète. Il lui raconta son rêve, puis demanda quelle était cette chose que l'Ange avait dans la main, qui avait forme de clé.
Le prophète répondit : "Peu importe la forme de la clé. Tu dois chercher de quoi elle est faite. Seul celui qui connaît son secret devient capable de s'en servir".
"Comment en connaîtrai-je le secret ?" rétorqua l'homme.
"De deux graines semences de rose ; l'une est déjà morte, l'autre encore vivante. Vues de l'extérieur, elles ont la même forme. Mais la forme de celle qui est morte est mensongère. La forme de celle qui est vivante est vérité. Comment connaîtras-tu celle qui est vivante ?".
"La semence doit-être semée", suggéra l'homme.
"La vérité vient de la vie", conclua l'Ange.
L'homme comprit alors, et se dit à lui-même : c'est la rose qui est importante, et non pas sa forme. Il comprit la beauté des deux créatures. Il comprit l'histoire de l'orage : le danger était en la prophétesse, et non dans la menace des éclairs. L'Ange sourit, et sortit de son sein une rose très belle, qu'il lui offra. Heureux, il continua la route.
IV
Le lendemain, l'homme s'était arrêté à l'ombre d'un sapin planté au bord d'une source. Le paysage était réjouissant, et le temps agréable. Mais l'homme semblait soucieux, meurtri. Il avait emballé précieusement la rose pour qu'elle ne s'abime pas, et voilà qu'en la sortant, le matin, pour la contempler, il avait constaté qu'elle s'était déjà fanée. Il continuait de méditer sur les paroles de l'Ange, mais il était déçu. Il remballa la rose avec précaution, tout en se demandant si cela était vraiment nécessaire. La journée s'annonçait morose. Il devrait marcher, porter le poids du jour, mais sans savoir très bien où tout cela le mènerait.
Il s'était remis en marche depuis une demi-heure, quand il rencontra le propriétaire de la source. Il habitait une maison magnifique, au bord du chemin, entourée d'un jardin non moins splendide, couvert.... de roses. Et celles-là n'étaient pas fanées ! L'homme interrogea : "Que de roses magnifiques ! Comment faites-vous pour les garder si belles ?". "C'est la terre d'ici, mon petit, et la source. Les ancêtres de ma famille ont cultivé ce terrain depuis de nombreuses générations déjà. La beauté de la rose ne vient pas du hasard. Le secret se trouve dans les racines. Il faut s'enraciner, mon petit".
Là, l'homme devint vraiment malheureux. La voix intérieure lui avait toujours dit de continuer le chemin. L'expression du "peuple en marche" revenait comme une épine acérée, qui perçait son coeur et semblait sceller son malheur. Un peuple en marche, ça n'a pas de racines... Etait-il donc maudit à ce point qu'il ne pourrait jamais porter la beauté de la vie ?
V
C'est alors qu'il rencontra le deuxième vrai prophète.
Il lui demanda : "pourquoi l'Ange tient-il la clé dans sa main ?"
Le prophète répondit : "Il te faut travailler aux oeuvres de celui que tu cherches. Quand tu as rencontré le jardinier ce matin, il venait de couper toutes les fleurs fanées de son rosier. Les autres roses faneront aussi. Moins vite que la tienne, peut-être, mais elles faneront : elles ont leur temps. Ce soir, tu vas cacher ta rose fanée dans ta main, tu vas la serrer très fort, puis tu ouvrira ta main tout doucement.. Tu comprendras alors le secret de la clé".
L'homme rit en lui-même. Le premier prophète ne lui avait-il pas déjà fait comprendre le secret de la clé ?
L'Ange lui reprocha : "Ne ris pas en toi-même. Tu as compris le secret de la rose, mais tu n'a pas encore saisi le secret de la vie".
Le soir venu, l'homme serra très fort la rose dans sa main, puis l'ouvrit tout doucement. La brise du soir fit s'envoler les pétales fanés, et l'homme remarqua la multitude de graines qui restaient au creux de sa main : des semences de rose.
VI
Le lendemain, l'homme retourna en hâte voir le propriétaire des roses. Son jardin était déjà fané, et lui bougon. L'homme lui montra les graines de rose et demanda : "Qui de nous deux a vraiment la vie ? L'avenir n'est-il pas plus dans ma main que dans ton jardin ?" L'autre s'agaça : "Va les planter où tu veux, tes graines, elles faneront tout aussi bien". L'homme retourna songeur. Il n'avait pas pensé à cela. Existe-t-il un jardin où les roses ne fanent pas ? Où se situe vraiment la vie, si ce n'est ni dans la graine, ni dans la terre, ni dans les racines, ni dans la rose... Décidément, son chemin était fait de questions sans réponses, qui le rendait de plus en plus incertain, et même, il faut bien le dire, un peu sceptique. Il gardait cependant précieusement les graines, sans savoir comment les utiliser.
VI
C'est alors qu'il rencontra le troisième vrai prophète.
Il demanda tout de suite : "Pourquoi l'Ange cache-t-il la clé ?".
L'Ange répondit : "Car il ne sert à rien d'avoir la clé, si l'on en possède pas le secret. Tu connais déjà maintenant une partie de ce secret. Mais il te manque l'essentiel. Pour certains hommes de ce monde, la vérité se trouve dans la graine ; pour d'autres, dans la terre, pour d'autres encore dans les racines, pour d'autres enfin dans la fleur. Pour toi, tu dois trouver de quoi est faite la clé. Les graines sont le commencement de la rose, pourtant, elles sont venues après que la rose soit fanée. Voici maintenant le secret : ce qui vient après, doit passer devant, car avant il était. Les hommes de ce monde croient trouver l'éternité à l'extérieur, dans des elixirs qui ne nourrissent que l'imaginaire et qui le saoulent. Il te faut chercher en toi même, car c'est là que tu trouveras le chemin de ce qui ne vieillit pas. La source de l'éternité a été posée dans le coeur de l'homme, en même temps que la source du temps. La source du temps s'élargit en un fleuve qui n'a pas de fin. La source d'éternité engendre une autre source, qui elle même se met à jaillir pour revenir à la source première. Les hommes confondent les deux sources, c'est pourquoi ils se perdent. Ce qui est avant l'enfant, ce n'est pas seulement la mère, car la mère elle-même a été enfant. Il faut aller plus haut, à la source. Ce qui est avant, c'est l'amour dans le coeur de la mère. Quand l'enfant vient, l'amour grandit : c'est cet amour qui vient après. Ce même amour naît dans le coeur de l'enfant, et c'est lui qui doit passer devant, si tu veux qu'il demeure ce qu'il est dès le commencement. Pour cela, il te faut naître à l'amour"
L'homme s'étonna : "Est-ce qu'un homme peut retourner dans le sein de sa mère ?"
L'Ange dit : "Tu as eu tort de retourner parler au jardinier. La vérité ne se trouve pas en arrière. En cherchant à avoir raison sur lui, tu as perdu ce que tu croyais avoir. C'est l'amour qui est la forme de la clé, mais l'amour n'est pas dans la forme. Il est plus grand, et c'est pourquoi il doit passer devant."
L'homme s'impatienta : "Alors là, je ne comprends plus !"
L'Ange expliqua : "Tu vois la forme, mais tu ne vois pas l'amour. La forme vient de l'amour. Sans amour, la forme se corrompt et la clé ne peut plus fonctionner. Les choses de ce monde ont leur temps, puis elles fanent. Tu dois trouver ce qui ne se corrompt pas, c'est là le secret de la clé."
VII
L'homme arriva devant la porte qu'il avait vu en rêve. La créature de gauche lui tournait désormais le dos, d'un air boudeur. Celle de droite avait maintenant un air familier. L'homme lui demanda : "Est-ce bien toi que j'ai rencontré sur la route ?" Il répondit : "As-tu la clé ?" L'homme énonça : "Au soir de cette vie, nous serons jugés sur l'amour." Et la porte s'ouvrit.
2006-11-27 14:02:36
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answer #1
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answered by Anonymous
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