J'entends une voix dans l'escalier devenir de plus en plus fortes. C'est la voisine du deuxième qui parle à la femme de ménage à l'air amusé. Elle lui raconte ses malheurs en rapport avec la très forte musique dont les basses envahissent tout l'immeuble. La femme de ménage astique avec un zèle particulier le deuxième étage. Il faut dire que la vieille dame égaye sa journée de cages d'escalier vides, de « bonjour » impersonnels.
La vieille dame m'explique : la musique de son voisin du troisième est assourdissante. Il est en effet difficile de penser à autre chose qu'à ces basses qui battent en rythme, le reste de la musique passant en second plan. Il est clair qu'il a mis le volume à fond les manettes, sans doute pour s'empêcher de penser. « Et c'est comme ça les jours depuis trois jours ! » La vieille dame est à cran. Je la comprends. En effet, être juste en dessous d'un vacarme des plus désagréables doit être difficile à supporter. « L'autre soir, il y avait de la musique jusque très tard le soir ! » continue cette voisine pendant que la femme de ménage continue à astiquer le sol de l'étage, trop contente d'assister à la scène.
La vieille dame est charmante. On lui donnerait le bon Dieu sans confession. C'est le portrait-type de la mamie idéale. « J'ai quatre-vingt-quatre ans, vous savez ? » Elle m'explique aussi qu'elle est malade du cœur et que ce vacarme lui donne des palpitations. Bref, pour des raisons de santé, elle ne peut plus supporter ce tapage. Il faut agir ! (Le sol du deuxième n'a jamais brillé comme cela.)
« Ça fait un an que ça dure. » Je m'étonne un an ? Il y a à peine quelques mois, j'avais vu d'autres voisins emménager dans le même appartement. Et puis, je croyais que cela ne durait que depuis trois jours ? « C'est toujours pareil avec les locataires de cet appartement », m'explique la grand-mère. Trois locataires différents en l'espace d'un an, chacun amenant son lot d'excentricités, mais surtout, des dérangements variés, le bruit restant semble-t-il une constante. Alors agissons ! (Est-ce une impression ou bien je commence à glisser par terre ?)
« Et puis, ils ont eu un mot dans leur boîte aux lettres », m'annonce la dame. Un mot ? C'est le voisin de l'immeuble mitoyen qui se serait plaint. Allez savoir comment la vieille dame peut être au courant de ce mot, puisque ce n'est en aucun cas sa boîte aux lettres qui était concernée. « "J'ai l'impression de participer à vos ébats", lui a-t-il écrit », m'explique fière d'elle la mammie. Ils auraient donc baisé comme des bêtes une nuit récente, ce qui aurait fortement déplu à leur voisin de derrière le mur. Euh... ceci ne nous regarde pas, fais-je remarquer à ma voisine, elle-même ne les ayant point entendus, cela devient un bruit de couloir particulièrement déplacé, me dis-je. Bref, oublions ce passage. (On peut se voir par terre comme dans un mirroir...)
« Cela se trouve, ils ne s'en rendent pas compte ? » me confie la grand-mère. En effet, c'est peut-être tout bonnement cela, l'approuve-je, il suffit alors de leur demander de baisser le son, ajoute-je rayonnant. Il faut dire que la vieille dame se plaint sur son pallier, mais n'a pas osé monter d'un étage, ni le jour-même, ni la veille, ni l'avant-veille. Allons-y ensemble, dans ce cas ! « Euh... fermez votre porte, avant que nous ne montions, madame... » (La femme de ménage nous laisse passer, continuant inlassablement son va-et-vient avec le manche à balai.)
Dans l'escalier, je m'assure bien des objectifs de l'expédition. « Nous sommes d'acord : notre objectif est qu'il baisse la musique ? » La vieille dame acquiesce. « Nous n'avons pas à lui reprocher le comportement des précédents locataires », me permets-je d'insister. Ma voisine hésite, mais accepte. Elle veut parler de leurs ébats... Non, cela ne nous regarde pas, nous ne sommes pas là pour ça aujourd'hui. Je sais, je suis impitoyable.
Nous nous trouvons donc face à la porte du voisin indélicat. La musique est particulièrement bruyante. Oh, notez qu'il n'a pas mauvais goût, le monsieur, bien que ce ne soit pas ma tasse de thé, mais les voisins entendent surtout des basses assourdissantes qui traversent les murs, le sol et le plafond. La sonnette ne fonctionne pas ; aussi, je frappe avec force à la porte, craignant de ne pas nous faire entendre.
Quelques instants plus tard, la porte s'ouvre. Le monsieur n'a pas l'air ravi de nous voir, mais ouvre néanmoins sa porte grande ouverte. On aperçoit l'entrée claire, sans meuble, sans chaussures qui traînent et sans manteaux accrochés aux murs. Bref, ça a l'air grand, une entrée, quand on évite de l'encombrer. J'aime. La musique devient cependant assourdissante. J'entame donc le début du dialogue avec un grand sourire illuminant mon visage. « Bonjour Monsieur. Voilà... »
A peine ai-je ouvert la bouche que la vieille dame, à mes côtés, fait ce que je redoutais le plus. « C'est le bordel, chez vous ! » lui lance-t-elle à la figure. Le type en est presque abasourdi. Immédiatement, il se met en position de mordre. Je le comprends. On sonne à votre porte et on vous lance des vulgarités. Comment voulez-vous qu'un dialogue s'instaure ? Qu'importe. Je me tourne vers la dame. « Madame, calmez-vous, s'il vous plaît. » Les voix s'élèvent, puis baissent.
J'explique les raisons de notre présence au monsieur. Visiblement, il ne m'entend pas assez bien. Du coup, il nous demande de l'attendre. Il s'éclipse dans ce qui semble être le séjour, la musique baisse de plusieurs dizaines de décibels, puis il revient. Je réexplique les raisons de notre présence.
Le monsieur s'indigne. « Je suis chez moi, je paye mon loyer, je fais ce que je veux ! » me rétroque-t-il. Je lui explique qu'en effet, il a le droit de faire ce qu'il veut, à condition de ne pas importuner ses voisins, car s'il peut mettre de la musique chez lui -- et nous ne tenterons rien contre cela --, il ne peut l'imposer à ses voisins. Entre vingt-deux heures et sept heures, il ne fait pas de bruit, car ce n'est pas bien, m'explique le voisin. Mais le jour, il faut ce qui lui plaît.
Malheur ! Ma voisine a entendu le mot « nuit » dans la conversation... La voici qui lui reproche ses ébats amoureux avec sa copine ! Le monsieur s'écrie de toutes ses forces : « On n'a plus le droit d'écouter de la musique, on n'a plus le droit de baiser ! On vit dans un pays démocratique, ici ! » J'avoue ne pas bien comprendre le rapport. « En effet, nous sommes en démocratie, et le législateur pour lequel vous avez peut-être voté a interdit le tapage, qu'il soit nocturne ou diurne », tente-je de raisonner le monsieur. Rien à faire, le ton monte encore d'un cran.
J'essaye de raisonner calmement le monsieur. Je dois avouer que la situation m'amuse. J'ai en face de moi un type que l'on accueille par une accusation de proxénétisme (ben oui, mine de rien, « bordel », hein) et on enfonce le clou en lui reprochant ses ébats amoureux. Comment voulez-vous qu'on obtienne la moindre coopération du bonhomme ? Mais je ne perds pas espoir...
« Vous savez, si nous n'arrivons pas à trouver une solution à l'amiable, nous devrons faire appel aux forces de l'ordre », tente-je de l'impressionner. Le monsieur semble être un habitué. « La police, je connais, à chaque fois qu'ils viennent, ils me demandent de baisser le son et ils repartent. » J'insiste. « Vous savez, la première fois, ce sera un rappel à la loi, mais par la suite, ce seront des amendes. Si nous déposons plainte, cela risque d'aller au tribunal. » Il n'en a rien à faire. Lui, il a besoin de ses quinze minutes de musique par jour pour se réveiller avant d'aller travailler. Oui, car lui travaille. Et nous, on l'emmerde.
J'entrevois-là un début de dialogue. Si, si, attendez. Ma chère voisine consentirait-elle à une musique forte durant quinze minutes par jour ? Non. Un non catégorique. Madame est malade du cœur et elle ne peut se permettre de telles conditions. Son médecin lui a prescrit de se reposer. Pourquoi donc le monsieur écoute-t-il la musique aussi fort ? Tout simplement, parce que quand il est dans la salle de bains (à l'opposé de sa chaîne dans l'appartement, bien entendu), il n'entend pas la musique ! Mais ne peut-il pas mettre une radio dans la salle de bains ? Non, car cela coûte de l'argent, et lui... a un loyer à payer.
Visiblement, le monsieur en a assez. Il nous emmerde, s'exclame-t-il avant de nous claquer la porte au nez. La fin du dialogue ?
Nous restons quelque peu pantois face à la porte. n'y aurait-il pas une solution à trouver ? La dame n'en revient pas. « Mais il est fou ! Vous avez vu comment il parle ? » Madame a l'air elle aussi passablement énervée. Elle n'a cessé de me couper pour remettre un peu d'huile sur le feu. Oh, après tout, c'est sa cause que je défendais, tant pis si ses moyens ne me convenaient pas. Certes, là où je suis, j'entends aussi la musique, mais beaucoup moins fort, presque couverte par les divers bruits de la rue, lorsqu'on garde les fenêtres fermées. Amusé par cette aventure anecdotique tellement irréelle, je repense à tous ces avocats des séries télé qui tentent de calmer leurs clients, trop pressés de dire ce qu'ils ont sur le cœur.
Soudain, la porte s'ouvre de nouveau. Notre voisin déboule l'escalier. « Vous n'avez pas intérêt à m'emmerder avec ça, sinon, je vous promets que je vous le ferai regretter jusqu'à la fin de vos jours », nous lance-t-il en descendant l'escalier en courant. Je suis sceptique. « Serait-ce une menace, Monsieur ? Parce que dans ce cas, je pars tout de suite à la police déposer plainte. » J'entends une voix lointaine. « Non, ce n'est pas une menace. » En est-il sûr ? Oui, il en est certain.
La vieille dame n'en revient pas. Je dois dire que là, moi non plus. « Mais il est fou ! » s'exclame ma voisine. J'essaye de calmer le jeu. « Non, il n'est pas fou, juste vulgaire. Notez que nous sommes venus chez lui alors qu'il se préparait pour aller travailler, peut-être était-il déjà en retard, il n'est pas certain qu'à un autre moment de la journée, nous aurions eu une autre réaction. » La dame ne semble pas convaincue. « Mais il est fou ! » s'exclame-t-elle à nouveau. « Non, il n'est pas fou, Madame. Il est très énervé. Il l'aurait peut-être été moins si nous n'avions pas fait référence à ses ébats... » La vieille dame semble amusée, me remercie pour ma contribution à la discussion.
Nous descendons tranquillement jusqu'à chez elle. Une idée saugrenue me vient alors à l'esprit. « Dites, la prochaine fois qu'il met de la musique à fond, venez me voir, nous boirons un thé. » La vieille dame fait mine de ne pas y croire. « Eh bien si, comme cela, cela va me changer ma journée alors que vous, vous éviterez de vous stresser. Mais attention, je vous supporterai probablement sans problème quinze minutes. Allez, comptons large : vingt ! Mais certainement pas trente ! Oh que non ! Certainement pas trente ! » Bref, nous nous séparons dans la bonne humeur...
Et vous, combien de temps vous faut-il pour nettoyer quelque cinq mètres carrés de sol ? Ce jour-là, la femme de ménage, trop amusée pour aller voir ailleurs, a dû y passer une bonne vingtaine de minutes ! Oh, pour sûr ! Le sol brillait comme jamais !
2006-11-16 13:08:41
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answer #2
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answered by Mont d'or 5
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