Mon texte préféré... Car je ne dirai pas mieux!
C'est Psyché
Elle est dans le désert, un oracle lui impose une confrontation avec un monstre... Et là un dieu Magnifique se présente devant elle:
PSYCHÉ
Qu'un monstre tel que vous inspire peu de crainte!
Et que s'il a quelque poison,
Une âme aurait peu de raison
De hasarder la moindre plainte
Contre une favorable atteinte
Dont tout le cœur craindrait la guérison!
À peine je vous vois, que mes frayeurs cessées
Laissent évanouir l'image du trépas,
Et que je sens couler dans mes veines glacées
Un je ne sais quel feu que je ne connais pas.
J'ai senti de l'estime et de la complaisance,
De l'amitié, de la reconnaissance;
De la compassion les chagrins innocents
M'en ont fait sentir la puissance;
Mais je n'ai point encor senti ce que je sens.
Je ne sais ce que c'est, mais je sais qu'il me charme,
1060 Que je n'en conçois point d'alarme;
Plus j'ai les yeux sur vous, plus je m'en sens charmer:
Tout ce que j'ai senti n'agissait point de même,
Et je dirais que je vous aime,
Seigneur, si je savais ce que c'est que d'aimer.
Ne les détournez point, ces yeux qui m'empoisonnent,
Ces yeux tendres, ces yeux perçants, mais amoureux,
Qui semblent partager le trouble qu'ils me donnent.
Hélas! plus ils sont dangereux,
Plus je me plais à m'attacher sur eux.
Par quel ordre du Ciel, que je ne puis comprendre,
Vous dis-je plus que je ne doi,
Moi de qui la pudeur devrait du moins attendre
Que vous m'expliquassiez le trouble où je vous voi?
Vous soupirez, Seigneur, ainsi que je soupire;
Vos sens comme les miens paraissent interdits;
C'est à moi de m'en taire, à vous de me le dire,
Et cependant c'est moi qui vous le dis.
L'AMOUR
Vous avez eu, Psyché, l'âme toujours si dure,
Qu'il ne faut pas vous étonner
Si, pour en réparer l'injure,
L'amour, en ce moment, se paye avec usure
De ceux qu'elle a dû lui donner.
Ce moment est venu qu'il faut que votre bouche
Exhale des soupirs si lontemps retenus,
Et qu'en vous arrachant à cette humeur farouche,
Un amas de transports aussi doux qu'inconnus
Aussi sensiblement tout à la fois vous touche,
Qu'ils ont dû vous toucher durant tant de beaux jours
Dont cette âme insensible a profané le cours.
PSYCHÉ
N'aimer point, c'est donc un grand crime!
L'AMOUR
En souffrez-vous un rude châtiment?
PSYCHÉ
C'est punir assez doucement.
L'AMOUR
C'est lui choisir sa peine légitime,
Et se faire justice en ce glorieux jour
D'un manquement d'amour par un excès d'amour.
PSYCHÉ
Que n'ai-je été plus tôt punie!
J'y mets le bonheur de ma vie;
Je devrais en rougir, ou le dire plus bas,
Mais le supplice a trop d'appas;
Permettez que tout haut je le die et redie:
Je le dirais cent fois, et n'en rougirais pas.
Ce n'est point moi qui parle, et de votre présence
L'empire surprenant, l'aimable violence,
Dès que je veux parler, s'empare de ma voix.
C'est en vain qu'en secret ma pudeur s'en offense,
Que le sexe et la bienséance
Osent me faire d'autres lois;
Vos yeux de ma réponse eux-mêmes font le choix,
Et ma bouche asservie à leur toute-puissance
Ne me consulte plus sur ce que je me dois.
L'AMOUR
Croyez, belle Psyché, croyez ce qu'ils vous disent,
Ces yeux qui ne sont point jaloux;
Qu'à l'envi les vôtres m'instruisent
De tout ce qui se passe en vous.
Croyez-en ce cœur qui soupire,
Et qui, tant que le vôtre y voudra repartir,
Vous dira bien plus, d'un soupir,
Que cent regards ne peuvent dire:
C'est le langage le plus doux,
C'est le plus fort, c'est le plus sûr de tous.
PSYCHÉ
L'intelligence en était due
À nos cours, pour les rendre également contents:
J'ai soupiré, vous m'avez entendue;
Vous soupirez, je vous entends.
Mais ne me laissez plus en doute,
Seigneur, et dites-moi si par la même route,
Après moi, le Zéphire ici vous a rendu,
Pour me dire ce que j'écoute.
Quand j'y suis arrivée, étiez-vous attendu?
Et quand vous lui parlez, êtes-vous entendu?
L'AMOUR
J'ai dans ce doux climat un souverain empire,
Comme vous l'avez sur mon cœur;
L'amour m'est favorable, et c'est en sa faveur
Qu'à mes ordres Æole a soumis le Zéphire.
C'est l'amour qui, pour voir mes feux récompensés,
Lui-même a dicté cet oracle
Par qui vos beaux jours menacés
D'une foule d'amants se sont débarrassés,
Et qui m'a délivré de l'éternel obstacle
De tant de soupirs empressés,
Qui ne méritaient pas de vous être adressés.
Ne me demandez point quelle est cette province,
Ni le nom de son prince:
Vous le saurez quand il en sera temps.
Je veux vous acquérir, mais c'est par mes services,
Par des soins assidus, et par des vœux constants,
Par les amoureux sacrifices
De tout ce que je suis,
De tout ce que je puis,
Sans que l'éclat du rang pour moi vous sollicite,
Sans que de mon pouvoir je me fasse un mérite;
Et, bien que souverain dans cet heureux séjour,
Je ne vous veux, Psyché, devoir qu'à mon amour.
Venez en admirer avec moi les merveilles,
Princesse, et préparez vos yeux et vos oreilles
À ce qu'il a d'enchantements.
Vous y verrez des bois et des prairies
Contester sur leurs agréments
Avec l'or et les pierreries;
Vous n'entendrez que des concerts charmants;
De cent beautés vous y serez servie,
Qui vous adoreront sans vous porter envie,
Et brigueront à tous moments
D'une âme soumise et ravie
L'honneur de vos commandements.
PSYCHÉ
Mes volontés suivent les vôtres:
Je n'en saurais plus avoir d'autres;
Mais votre oracle enfin vient de me séparer
De deux sœurs et du Roi mon père,
Que mon trépas imaginaire
Réduit tous trois à me pleurer.
Pour dissiper l'erreur dont leur âme accablée
De mortels déplaisirs se voit pour moi comblée,
Souffrez que mes sœurs soient témoins
Et de ma gloire et de vos soins;
Prêtez-leur comme à moi les ailes du Zéphire,
Qui leur puissent de votre empire
Ainsi qu'à moi faciliter l'accès;
Faites-leur voir en quels lieux je respire,
Faites-leur de ma perte admirer le succès.
L'AMOUR
Vous ne me donnez pas, Psyché, toute votre âme:
Ce tendre souvenir d'un père et de deux sœurs
Me vole une part des douceurs
Que je veux toutes pour ma flamme.
N'ayez d'yeux que pour moi, qui n'en ai que pour vous,
Ne songez qu'à m'aimer, ne songez qu'à me plaire,
Et quand de tels soucis osent vous en distraire.
PSYCHÉ
Des tendresses du sang peut-on être jaloux?
L'AMOUR
Je le suis, ma Psyché, de toute la nature:
Les rayons du soleil vous baisent trop souvent;
Vos cheveux souffrent trop les caresses du vent:
Dès qu'il les flatte, j'en murmure;
L'air même que vous respirez
Avec trop de plaisir passe par votre bouche;
Votre habit de trop près vous touche;
Et sitôt que vous soupirez,
Je ne sais quoi qui m'effarouche
Craint parmi vos soupirs des soupirs égarés.
Mais vous voulez vos sœurs. Allez, partez, Zéphire:
Psyché le veut, je ne l'en puis dédire.
(Le Zéphire s'envole.)
Quand vous leur ferez voir ce bienheureux séjour,
De ses trésors faites-leur cent largesses,
Prodiguez-leur caresses sur caresses,
Et du sang, s'il se peut, épuisez les tendresses,
Pour vous rendre toute à l'amour.
Je n'y mêlerai point d'importune présence;
Mais ne leur faites pas de si longs entretiens:
Vous ne sauriez pour eux avoir de complaisance
Que vous ne dérobiez aux miens.
PSYCHÉ
Votre amour me fait une grâce
Dont je n'abuserai jamais.
L'AMOUR
Allons voir cependant ces jardins, ce palais,
Où vous ne verrez rien que votre éclat n'efface.
Et vous, petits amours, et vous, jeunes Zéphyrs,
Qui pour âmes n'avez que de tendres soupirs,
Montrez tous à l'envi ce qu'à voir ma princesse
Vous avez senti d'allégresse.
2006-09-16 16:48:36
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answer #7
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answered by patricia b 6
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