« La définition de l'hystérie, disait C. E. Lasègue (1878), n'a jamais été donnée et ne le sera jamais. Les symptômes ne sont ni assez constants, ni assez conformes, ni assez égaux en durée et en intensité pour qu'un type même descriptif puisse les comprendre tous. » Un siècle a passé, l'imprécision demeure ; peu de désordres psychiques ont suscité cependant une telle curiosité, tant de recherches, de discussions passionnées. À en lire le récit, on reste confondu du ton des polémiques ; la bienveillance n'est pas de mise dans ces querelles d'écoles. C'est que l'hystérie, source d'inquiétude autant que d'irritation, défi aux lois de la médecine anatomo-clinique, insaisissable, inclassable, met en cause, plus qu'aucune autre maladie, la subjectivité de celui qui l'aborde. Avec elle jouent librement, massivement, les phénomènes de transfert et de contre-transfert. Les limites mêmes de l'affection sont difficiles à cerner. Si ses aspects typiques, spectaculaires se laissent aisément repérer, il n'en est pas de même des manifestations mineures qui se situent aux confins du normal et du pathologique. Quant aux modalités expressives de l'hystérie, elles tiennent autant du culturel que de l'individuel. Selon l'époque et la culture, le groupe social facilite ou réprime les manifestations les plus bruyantes de la névrose. La civilisation technique les favorisant peu, on est rarement confronté aujourd'hui avec « la grande hystérie » telle qu'elle fut popularisée par l'iconographie de la Salpêtrière au temps de J. M. Charcot, mais l'hystérie n'en a pas disparu pour autant, elle s'est faite plus discrète, elle suit d'autres modes.
1. Les manifestations de l'hystérie : un langage
L'hystérie est une névrose à manifestations polymorphes dont l'originalité réside en ce que les conflits psychiques inconscients s'y expriment symboliquement en des symptômes corporels variés, les uns paroxystiques comme les attaques (crises convulsives, crises pantomimiques), les autres plus durables (paralysies, contractures, grossesse nerveuse, cécité, etc.). Le symptôme somatique, c'est l'incarnation du fantasme, solution de compromis empêchant l'accès à la conscience du conflit refoulé, tout en permettant une réalisation substitutive et déguisée du désir interdit. L'épreuve de la réalité est ainsi évitée puisque le symptôme corporel se substitue à une représentation (image, idée, souvenir), lorsque les éléments refoulés, alimentés du dedans par les poussées instinctuelles ou réactivés du dehors par les situations, les événements actuels, tendent à réapparaître au niveau conscient. La diminution de la tension anxieuse que provoquent les conflits internes sera le bénéfice primaire, immédiat, de ce que l'on a coutume d'appeler, depuis les premiers textes freudiens, la conversion hystérique. La « belle indifférence » qu'affiche l'hystérique vis-à-vis de ses symptômes est bien le signe que cette conversion, lorsqu'elle est réussie, constitue le plus efficace des mécanismes névrotiques de défense contre l'angoisse. Le domaine de l'hystérie, c'est donc celui des intentionnalités inconscientes, celui des interdits et de leur transgression ; son langage, c'est le langage du corps, déchiffrable à la manière de l'interprétation du rêve puisque les troubles corporels s'y organisent dans leur forme matérielle en fonction des syntaxes signifiantes de l'inconscient. Mais qui dit langage sous-entend interlocuteur, et c'est ici qu'apparaît l'autre fonction du symptôme hystérique qui est de structurer la relation à autrui. Les bénéfices secondaires qui en découlent s'avèrent souvent si importants qu'ils conditionnent largement l'évolution de l'affection.
Le symptôme hystérique est en effet un message, inhabituel dans sa forme, mais éloquent dans son contenu, singulièrement efficace en tant qu'appel à l'Autre, parent, médecin, entourage proche ou corps social dans son ensemble, dont il secoue l'indifférence et suscite inévitablement une réponse ; la qualité de cette réponse influera à son tour sur le porteur du message, c'est-à-dire l'hystérique qui, décidé à se faire entendre, modèlera sa demande sur le désir d'autrui ; de là viennent cette adéquation des symptômes aux concepts de l'époque et aux stéréotypes de la culture, et cette étonnante fluctuation d'une sémiologie qui reste avant tout un langage.
Sans dresser l'inventaire de manifestations si protéiformes qu'elles peuvent simuler à s'y méprendre toute la pathologie, on retiendra plusieurs caractéristiques de l'expressivité hystérique.
Diversité des symptômes
Les crises
L'hystérie est avant tout la « maladie des attaques ». Plus de la moitié des malades en présentent peu ou prou. Les unes paraissent directement motivées par la conjoncture relationnelle : banales crises de nerfs, évanouissements, qu'une incitation un peu vive, une aspersion d'eau froide calment plus aisément que douceur et pitié. Les autres sont plus mystérieuses, inquiétantes ; vécues dans un état de demi-conscience qui favorise les décharges agressives et orgastiques, elles se déroulent suivant d'étranges scénarios où les fantasmes projetés sont représentés en pantomimes de terreur, de violence ou d'érotisme. Au cours de « la grande attaque » qu'inaugure l'ascension de la boule hystérique de la région ovarienne à l'épigastre puis à la gorge se succèdent convulsions désordonnées, contorsions bizarres, clownesques (incurvation du corps en arc de cercle, grandes oscillations salutatoires du tronc), « attitudes passionnelles » figeant le corps dans l'immobilité cataleptique de l'extase ou bien l'agitant frénétiquement de transes qui furent autrefois qualifiées de démoniaques.
Les crises observées de nos jours sont généralement tronquées, de courte durée, mais n'en restent pas moins fort spectaculaires. C'est lors d'hystéries collectives que les attaques atteignent au paroxysme. L'épidémie de danse de Saint-Guy qui sévit en Allemagne à la fin du Moyen Âge, les sabbats de sorcières relatés dans les procès de sorcellerie, les scènes d'hystérie convulsive autour du baquet de Mesmer ou sur la tombe du diacre Pâris au cloître Saint-Médard, les conversions épidémiques du revivalisme sont autant d'exemples de cette hystérie convulsionnaire épidémique dont la « psychiatrie transculturelle » a fait connaître des équivalents contemporains : le mal de pelea à Porto Rico, le pibloktoq esquimau.
Les accidents somatiques durables
Les accidents somatiques durables surviennent surtout au niveau des organes de la vie de relation dont ils paralysent la fonction ; motricité, sensibilité, phonation, activité sensorielle, peuvent être touchés de façon élective ou concomitante.
L'atteinte motrice se réalise sous forme de paralysies, de contractures, de mouvements anormaux. Ne s'accompagnant d'aucun signe objectif d'atteinte lésionnelle des voies ou centres nerveux, elle ne respecte pas la systématisation anatomique, mais prend modèle sur les représentations populaires, car elle exprime l'idée que le malade se fait du fonctionnement de son propre corps. D'où ces curieuses paralysies localisées « en manche de veste, en gigot, en manchette », ces contractures reproduisant une attitude expressive. Pierre Janet cite l'exemple d'une jeune fille qui garda pendant un an la main droite contracturée dans la position « d'une main qui tient une aiguille ». La tradition populaire et religieuse transmet le souvenir de gestes agressifs ou sacrilèges, arrêtés par le courroux de Dieu (et la culpabilité inconsciente), et où la main responsable resta figée dans le geste interdit. Le marin du Pluton, examiné par J. Delay, gardait depuis le naufrage de son navire, neuf ans auparavant, une plicature du tronc (camptocormie). Au cours d'une narco-analyse, le malade « évoqua pêle-mêle des souvenirs qui étaient tous centrés sur la catastrophe dont il avait été une des victimes : l'explosion du Pluton, la mort de son ami Gaston, la chute sur le dos, tous faits dont il ne parlait ni se souvenait à l'état de veille, et qui étaient revécus dans un état de tension émotive extrême... Quand il fut complètement réveillé, il fut très étonné, d'une part, d'avoir retrouvé tous ses souvenirs relatifs à l'explosion et, d'autre part, de ne plus ressentir aucune douleur dorso-lombaire ; en fait, la contracture avait brusquement disparu ».
Les atteintes sensitives sont aussi fréquentes que les atteintes motrices, auxquelles elles s'associent souvent. Volontiers méconnues du malade, très variables dans leur localisation, et ce en fonction de l'examinateur, les anesthésies revêtent une topographie fantaisiste, « en gants », « en bottes », « en manche de veste » ou encore « au cordeau », intéressant la totalité d'un hémicorps. Faut-il rappeler que lors des procès en sorcellerie l'insensibilité au fer rouge était tenue pour stigmate de culpabilité ? À cette anesthésie cutanée et muqueuse (pharyngée, vaginale) peuvent se superposer des points hyperesthésiques, « le clou hystérique » de T. Sydenham au sommet du crâne, les « zones hystérogènes » de Charcot, en particulier les points ovariens dont la compression déclenchait invariablement une attaque. On a insisté récemment sur la fréquence et le caractère rebelle des algies hystériques. Qu'elles soient isolées ou qu'elles surviennent dans le sillage d'une atteinte sensitivo-motrice, qu'elles soient fixes ou erratiques, temporaires ou persistantes, elles sont caractérisées surtout par l'impotence fonctionnelle qu'elles entraînent : ce sont des céphalées qui empêchent de lire, des rachialgies qui gênent la marche ou la station debout prolongée, des arthralgies qui condamnent au lit pour des mois. Ces algies expliquent en partie la fréquentation médicale excessive de ces malades, l'abondance des examens paracliniques, l'épaisseur des dossiers radiologiques, la multiplicité des thérapeutiques essayées : chimiothérapie, homéopathie, magnétisation, élongations, massages, cures thermales, etc. Elles peuvent être à l'origine d'interventions chirurgicales abusives et mutilantes, le masochisme forcené de certains malades ne trouvant satisfaction que dans cette solution qui les débarrasse radicalement de l'organe rendu responsable.
Le langage émotionnel de l'hystérique utilise aussi le système neuro-végétatif dont la dysrégulation est d'ailleurs chez lui habituelle. Tout autant que les symptômes sensitivo-moteurs, les spasmes des muscles lisses et des sphincters, boule œsophagienne, vomissements incoercibles, toux nerveuse, rétention d'urine, vaginisme, expriment les émois et les conflits. Le tympanisme abdominal joint au spasme du diaphragme réalise le gros ventre hystérique fréquent dans la pathologie nord-africaine et dans l'hystérie de guerre. Il peut être le premier temps d'une grossesse nerveuse dont le tableau se complètera par l'arrêt des règles et le gonflement mammaire.
Des troubles vaso-moteurs et trophiques peuvent accompagner certaines paralysies (œdème bleu, phlyctènes, ecchymoses). Une prédisposition somatique (labilité neuro-végétative, tendances hémogéniques) peut les expliquer, mais la supercherie n'est pas toujours exclue, et une surveillance étroite entraîne souvent leur disparition. Il en est de même pour ces fièvres inexplicables, ces hémorragies localisées (sueurs de sang), ces stigmates imitant ceux du crucifié. Il s'agit là d'un domaine très controversé. Une littérature abondante a été consacrée aux cas les plus célèbres, Marie Kœrl, Louise Lateau, Thérèse Neumann ; la discussion reste ouverte, mais la quasi-totalité des cas observés en clinique appartient au domaine de la pathomimie.
Les symptômes d'expression psychique
Les domaines de la mémoire et de la vigilance sont les plus souvent affectés. Ce qui est constamment perturbé chez l'hystérique, c'est la possibilité d'évoquer certains souvenirs. L'amnésie infantile prolongée en est un des aspects caractéristiques. Ainsi, telle malade qui ne conserve aucun souvenir antérieur à l'âge de quatorze ans ; elle ne peut évoquer aucun lien, aucune figure... Les amnésies électives sont l'exagération et la localisation de l'amnésie biographique : oubli d'une expérience honteuse ou pénible, oubli d'une tranche de vie, méconnaissance systématique d'un événement douloureux. Irène, la malade de Janet, avait oublié sa mère d'une manière invraisemblable. « Non seulement elle n'y pensait plus, mais si on la forçait à y penser, on constatait qu'elle ne réussissait pas à se la représenter, à évoquer son image. Si on l'interrogeait sur la mort de sa mère, on voyait qu'elle savait la chose sans y croire : « Je dis qu'elle est morte pour dire comme tout le monde, mais je n'en sais rien ; j'ai dû pourtant la soigner. » Les illusions de la mémoire masquent très souvent des lacunes mnésiques en donnant au récit une apparence de vérité. De ces faux souvenirs, le plus caractéristique par sa fréquence et sa signification, c'est l'évocation de scènes infantiles de séduction et de viol. Après avoir longtemps ajouté foi aux récits de ses malades et cru trouver là, dans ces expériences traumatisantes, l'origine du mécanisme du refoulement et de la névrose hystérique, Freud fut conduit progressivement à mettre en doute la véracité des scènes de séduction et à découvrir qu'elles sont souvent le fruit de reconstructions fantasmatiques.
Le refus de la réalité peut aussi bien s'exprimer par des troubles de la vigilance dont une des modalités les plus fréquentes est la distractivité, qui permet de scotomiser les perceptions extérieures vécues comme déplaisantes. Si l'on considère que « dormir, c'est se désintéresser », on ne s'étonnera pas que l'hystérique puisse être sujet aux « attaques de sommeil », aux états léthargiques qui durent parfois quelques jours ou même plusieurs semaines, et se terminent habituellement par une crise convulsive. Plus étranges sont les phénomènes de clivage de conscience dont les états somnambuliques représentent un aspect caractéristique et impressionnant ; en état de demi-sommeil, le malade joue une scène dramatique, soit totalement imaginée, soit construite sur le thème d'un événement qui l'a frappé. L'automatisme ambulatoire qui associe somnambulisme et fugue amnésique représente l'exemple type de la réaction hystérique aiguë pouvant survenir lors d'une situation fortement traumatisante. Quant aux états seconds, si minutieusement décrits à la fin du XIXe siècle, ils sont le fait de grands hystériques chez lesquels alternent deux, voire trois personnalités différentes dont chacune ignore les projets, les actes, l'existence même des autres. La littérature et le cinéma se sont emparés de ces faits pathologiques si étranges et à vrai dire rarissimes dont on trouve les premières descriptions cliniques dans les écrits de William James, de Morton-Prince, d'Azam, de Flournoy.
Choix et signification du symptôme
Que l'imitation puisse jouer un rôle, cela est indéniable : l'hystérie infantile, l'hystérie collective en offrent des exemples frappants. Que la suggestion puisse créer « à la demande » un symptôme hystérique, J. Babinski l'avait bien vu, mais il s'en faut que tous les hystériques soient des suggestibles, des hypnotisables. Ce n'est pas le moindre paradoxe de l'hystérie que l'on puisse y observer une telle mobilité ou une telle fixité des symptômes.
La localisation du symptôme dépend de facteurs multiples. Une moindre résistance constitutionnelle ou acquise peut constituer un point d'appel ; un myope aura des troubles visuels, un spasmophile des crises convulsives. L'identification à un parent, à un « rival heureux », l'identification à soi-même, c'est-à-dire avec un état personnel antérieur, sont souvent retrouvées dans le déchiffrage des symptômes ; certaines algies reproduisent des douleurs éprouvées lors de maladies infantiles et rééditent les conflits mobilisés à cette époque (gain d'amour parental, menace de castration, culpabilité masturbatoire). Il peut même y avoir identifications multiples ; une malade de Freud, au cours d'une crise, essayait de se déshabiller avec sa main droite tout en s'en empêchant avec la gauche, s'identifiant ainsi simultanément à l'homme lui faisant violence et à la femme violentée. L'érotisation de certaines fonctions (vision, langage), de certaines zones corporelles, établie durant les premiers stades de la sexualité infantile, explique la nature de quelques choix. Mais souvent le symptôme sera choisi en fonction de son aptitude à exprimer la tendance inconsciente ; une paralysie pourra être une défense contre l'activité sexuelle répréhensible tout en étant son substitut ; un spasme assurera la suppression de l'action et simultanément un substitut tonique de cette action. Un vomissement signifiera « je ne peux pas l'avaler ».
Formes cliniques
Selon le sexe
L'hystérie est environ trois fois plus fréquente chez la femme que chez l'homme. Elle est volontiers, chez l'homme, mono- ou paucisymptomatique. Chez la femme s'observent des tableaux plus riches, plus mobiles, plus polymorphes.
Les circonstances étiologiques diffèrent beaucoup d'un sexe à l'autre. Si l'on admet que l'hystérique laisse son corps négocier une situation qu'il est incapable de surmonter par une conduite active, on peut comprendre aisément que chez la femme dominent les conflits de la sphère affective ou sexuelle alors que chez l'homme les circonstances socio-professionnelles et les faits de guerre sont fréquemment retrouvés. « L'hystérie chez la femme exprime une revendication affective impatiente qu'elle adresse à son entourage (parent, conjoint). Chez l'homme, il se produit un déplacement du besoin de satisfaction affective qui ne s'adresse pas à la femme - dont il est méprisable de quémander l'amour en se faisant plaindre -, mais à la société. L'être social impersonnel satisfait ce désir par le don d'argent. Aussi, si le bénéfice secondaire est souvent matériel chez l'homme, alors qu'il est psychologique chez la femme, il satisfait chez l'un et l'autre la même revendication. La femme attend de son partenaire sa justification par l'amour qui représente son besoin essentiel, tandis que l'homme s'affirme, non pas grâce à la tendresse de sa femme, mais par la réussite sociale qui peut seule lui donner le moyen de revenir vers la femme en vainqueur. L'hystérie traumatique est fréquente chez l'homme alors que chez la femme, même lorsqu'elle travaille, elle est rarissime ; la compensation sociale ne l'intéresse pas. La demande de la femme hystérique s'adresse à l'homme, celle de l'homme à la société » (S. Lisfranc).
Selon l'âge
La moitié des malades présentent leurs premiers symptômes entre quinze et vingt-cinq ans ; 10% seulement après quarante-cinq ans.
L'hystérie infantile n'est pas exceptionnelle ; elle n'a pas un pronostic spécialement péjoratif. Les accidents débutent souvent après une maladie authentique et le rôle de l'imitation y peut apparaître indéniable tant dans le déclenchement que dans le choix des symptômes. Les crises nerveuses, la boiterie, les contractures, les fièvres inexplicables en sont les aspects habituels. Les motifs inconscients sont généralement évidents : valorisation par la maladie, identification à un parent malade, fuite devant des obligations scolaires, regain d'affection et d'intérêt.
L'hystérie du sujet âgé est assez souvent méconnue. Passée chez la femme la période ménopausique, la première survenue d'accidents hystériques est une éventualité peu fréquente ; c'est presque toujours à l'occasion du décès d'un proche (mère, conjoint) ou du mariage d'un enfant qu'apparaît une réaction de « deuil hystérique », et la béquille sur laquelle s'appuie l'astasique-abasique n'est qu'une image du soutien affectif qui fait défaut. Les études sur le vieillissement des hystériques ont montré qu'avec l'âge les épisodes de décompensation avaient moins tendance à se faire sur le mode déficitaire (paralysie) et davantage sur le mode algique. La dépression hypocondriaque est très fréquente dans la vieillesse des hystériques.
Les épidémies d'hystérie
Les épidémies d'hystérie constituent un des aspects les plus étranges de la psychopathologie collective. Dans chaque épidémie, la physionomie des troubles revêt des caractères particuliers par suite de la tendance qu'ont les sujets à se copier les uns les autres. Pendant tout le Moyen Âge, les mouvements choréiformes, les danses frénétiques dominent la scène ; à Louviers, les possédées voyaient, durant leurs transes, des flambeaux, des boules de feu, des animaux fantastiques ; à Loudun, les Ursulines, pendant l'accès démoniaque, proféraient des blasphèmes, disaient des obscénités ; au cours d'une assemblée « revivaliste », on vit s'écrouler plus d'un millier de personnes, apparemment inanimées ; certains, en signe de possession divine, personnifiaient des animaux, sautant comme des grenouilles ou aboyant, tels des chiens. La mise en condition physiologique (jeûne, macérations, veilles prolongées) et la préparation psychologique (attente, prières et chants en commun, rythmes incantatoires, exhortations suggestives) expliquent le caractère explosif de certaines de ces manifestations collectives. Une épidémie d'hystérie peut disparaître aussi rapidement qu'elle est apparue. L'isolement des « meneurs », une contre-suggestion habile, des mesures d'intimidation sont les méthodes les plus propres à calmer ces phénomènes de groupe dont l'extension s'alimente de toute publicité qui peut leur être donnée.
2. Aspects évolutifs et pronostic
Les manifestations hystériques peuvent apparaître comme un accident occasionnel au cours de l'existence ou s'inscrire dans l'évolution d'une névrose hystérique caractérisée. Cette opposition schématique mériterait d'ailleurs d'être nuancée.
Réactions hystériques
Les réactions hystériques sont des accidents isolés survenant à l'occasion d'un traumatisme émotionnel violent ou d'une tension nerveuse prolongée. Elle s'observent surtout chez les sujets frustes ou peu doués présentant des traits caractérologiques d'impulsivité ou de labilité émotionnelle. Les manifestations en sont spectaculaires : crises expressivo-émotives, tremblements, mutisme ; elles sont de courte durée en général, mais il peut y avoir persistance d'un symptôme lorsque le sujet se rend compte des éventuels bénéfices apportés par sa situation de malade. Ces réactions primitives sont fréquentes dans les populations encore peu évoluées sur le plan culturel, où il peut aussi y avoir utilisation secondaire à des fins telles que l'intérêt matériel, le prestige, l'autorité religieuse. Elles sont souvent observées en milieu militaire en temps de paix et en temps de guerre. À longue échéance, le pronostic de ces formes semble très favorable.
Névrose hystérique
Les premières manifestations de la névrose sont fréquemment repérables dès l'enfance : émotivité, suggestibilité, exaltation imaginative, troubles des conduites alimentaires, crises de nerfs, évanouissements, « comédies ».
Les grands accidents hystériques apparaissent par périodes en relation avec des situations vitales que le malade ne peut assumer. Il n'est pas rare de les voir débuter peu après le mariage, ou la naissance du premier enfant. Tout au long de l'existence, les épisodes conflictuels de la vie conjugale ou familiale, les frustrations affectives, les situations d'abandon ou d'isolement pourront être l'occasion de décompensations transitoires ou durables. Qu'il s'agisse d'obligations à éluder, de gratifications narcissiques à obtenir de la part d'un entourage indifférent, de dangers à éviter en particulier dans le domaine sexuel, le refuge dans la maladie constitue pour l'hystérique une solution à laquelle il recourt lorsque ses autres moyens de défense se révèlent insuffisants à lui procurer la sécurité et la valorisation indispensables.
La durée et l'évolution des accidents hystériques sont très variables : tout peut s'observer depuis l'aphonie de quelques jours jusqu'à la paraplégie clouant le malade au lit pendant des années. Si l'on se réfère aux statistiques portant sur des malades hospitalisés, l'on constate que pour un tiers au moins d'entre eux la durée de l'accident dépasse un an, que pour un quart elle se prolonge au-delà de cinq ans. Parfois, il s'agit de phénomènes répétitifs, de courte durée, utilisant chaque fois le même symptôme préférentiel ou changeant de registre à chaque épisode.
L'hystérie est une maladie dont l'évolution est étroitement conditionnée par le milieu. C'est le jeu des relations interpersonnelles avec les parents, le conjoint, l'employeur, qui en modèle la physionomie, détermine les ruptures et les crises, permet des phases de relatif équilibre. Il y a des milieux gratifiants et d'autres rejetants ; des familles hyperprotectrices, des conjoints masochistes entretiennent comme à plaisir des comportements de dépendance régressive dont ils se satisfont. Si l'hystérie n'est pas au départ une maladie iatrogène, le médecin n'en a pas moins parfois un rôle regrettable dans la fixation des troubles. En octroyant aux symptômes un cachet d'organicité, « il gèle la demande ». Certaines erreurs tactiques seront par la suite difficiles à réparer. Rien de plus ardu que de « déchroniciser » un malade qui a organisé son existence de malade chronique et dont l'assistance sociale favorise le style de vie parasitaire. Bien souvent on sera amené avec de tels malades à adopter une politique de compromis. Il faudra toute l'habilité du thérapeute pour allier les gratifications raisonnables et les exhortations invigorantes dans une cure nécessairement de longue durée et dont il n'est pas facile de garder toujours le contrôle. En revanche, lorsque le symptôme a perdu sa raison d'être ou que les bénéfices secondaires sont devenus négligeables, si la situation de malade s'avère inconfortable, on peut assister à une guérison « en coup de foudre » quasi miraculeuse. L'isolement, privant l'hystérique de son public, a souvent un rôle curateur : « Le rideau est baissé, la représentation s'achève. » L'effet parfois magique de la suggestion tient autant au personnage du thérapeute qu'à la mise en scène qui l'accompagne. Tous les medicinemen, des chamans aux curanderos, connaissent les procédés qui, abaissant le seuil de vigilance et frappant l'imagination, permettent une catharsis libératrice, une guérison rituelle (un exorcisme) à laquelle la participation collective du groupe assure une solennité, une publicité, propres à en consolider les effets. Nos techniques ne vont guère plus loin : hypnose, suggestion armée (faradisation du membre malade) et subnarcoses amphétaminées.
3. Évolution des idées sur l'hystérie
De l'Antiquité au Moyen Âge
Conformément à l'étymologie du mot « hystérie » (du grec Óst{ra, matrice), et jusqu'à la fin de l'Antiquité classique, l'hystérie fut considérée comme une maladie organique, utérine, mais affectant le corps entier. Sa nature sexuelle n'était pas mise en doute et, la continence étant incriminée, le traitement recommandait, à titre de prophylaxie, le mariage pour les jeunes filles, le remariage pour les veuves ; c'est l'origine d'une conception qui, de nos jours encore, conserve un large crédit populaire.
Le Moyen Âge fut l'époque des grandes épidémies, et sous l'influence des conceptions augustiniennes liant plaisir sexuel et péché, on vit dans les manifestations hystériques une intervention du Malin ; en 1484, la bulle d'Innocent VIII institutionnalisa la lutte contre les sorcières et, dix ans plus tard, parut le Malleus maleficarum, manuel de détection des cas de sorcellerie, dont la diffusion, favorisée par la récente découverte de l'imprimerie, fut immense (trente éditions en deux cents ans). La chasse aux sorcières dura deux siècles et parmi ses milliers de victimes on ne saurait chiffrer le nombre d'hystériques qui montèrent au bûcher.
Déjà à cette époque, l'opinion médicale résistait à la conception démoniaque de l'hystérie. Au XVIIe siècle, Charles Lepois affirme que le siège de l'hystérie est uniquement le cerveau, et que la théorie utérine est absurde puisque la maladie peut s'observer dans les deux sexes. Parallèlement, on évoque le rôle des émotions à l'origine des troubles, Paracelse entrevoit le rôle de l'inconscient dans la pathogénie des névroses, Sydenham ébauche la première description de la personnalité hystérique.
Charcot, Babinski, Janet
Tandis que s'affrontent dans les deux premiers tiers du XIXe siècle tenants de l'organogenèse de l'hystérie (Griesinger) et partisans de sa psychogenèse (Pinel, Carter, Feuchtersleben), un autre courant de recherches et d'idées va se développer parallèlement, celui du magnétisme. Là aussi s'affrontent un courant organiciste (qui soutient la théorie fluidique de Mesmer et qui aura son plein épanouissement avec Charcot et l'école de la Salpêtrière) et un courant animiste, issu des travaux de l'abbé Faria, et qui fait de l'hypnose « un état psychologique particulier, produit exclusivement par la suggestion », opinion qui sera défendue avec véhémence par l'école de Nancy.
Charcot eut le mérite de redonner à l'hystérie sa dignité de maladie (une maladie comme les autres), d'en fournir des descriptions cliniques précises destinées à démontrer l'origine organique de l'affection par l'existence de stigmates spécifiques (il s'agirait d'une « lésion dynamique »). Sous-estimant le rôle de la suggestion et de l'imitation chez ses malades, abusé par certains de ses élèves, il fut finalement le personnage central de la plus extraordinaire « hystérie de culture » que l'on ait connue. Son œuvre en a reçu un discrédit injustifié.
Il revenait à J. Babinski son élève, de « dynamiter » l'œuvre du maître. Neurologiste génial, il réussit à délimiter rigoureusement le domaine de la neurologie lésionnelle de celui de l'hystérie, qu'il rapprocha de la suggestion hypnotique. Pour lui l'essence de l'hystérie, c'est l'autosuggestion ; les phénomènes hystériques sont l'effet du pithiatisme. « Ce qui caractérise les troubles, c'est qu'il est possible de les reproduire par suggestion avec une exactitude rigoureuse chez certains sujets, et de les faire disparaître sous l'influence exclusive de la persuasion. »
Dans une œuvre qui reste très vivante par la richesse des descriptions cliniques, Pierre Janet développe une théorie de l'hystérie, maladie due à « un affaiblissement de la faculté de synthèse psychologique... un rétrécissement du champ de conscience », d'où la distractivité, la « tendance à la division permanente et complète de la personnalité ». L'hystérique a une aptitude à vivre intensément les images, à réaliser plastiquement, à « agir ses idées fixes », idées qui sont la manifestation des forces inconscientes émancipées (automatisme psychologique) à la faveur de la faiblesse de la conscience, de la baisse de tension psychologique.
Freud
L'étude de l'hystérie tient une place centrale dans l'histoire de la psychanalyse. La mise au jour de la causalité psychique de l'hystérie va de pair avec les découvertes principales de la psychanalyse (inconscient, conflit, fantasme, refoulement, transfert, identification). À partir de 1893, date de la communication préliminaire avec J. Breuer, les découvertes se succèdent : Les Psychonévroses de défense, 1893 ; Études sur l'hystérie, 1895 ; publication du cas Dora, 1905. C'est d'abord la mise à jour du refoulement (l'idée intolérable est maintenue hors de la conscience), le déchiffrage du sens de la conversion (le mot est de Freud) grâce à laquelle l'idée inconciliable se trouve neutralisée par transmutation de l'excitation qui lui est attachée en une forme signifiante d'expression corporelle, la mise en évidence du transfert et de son importance primordiale dans le déroulement de la cure. À la théorie traumatique initiale (rôle d'un traumatisme sexuel vécu passivement dans l'enfance) est substituée progressivement la théorie des instincts. Le rôle du conflit psychique inconscient est reconnu comme majeur dans l'étiologie de l'hystérie et des autres psychonévroses de défense. Le symptôme hystérique se voit défini comme le produit d'un compromis entre deux groupes de représentations agissant comme deux forces de sens contraire (le désir et l'interdit - le principe du plaisir et le principe de réalité). Parallèlement, Freud poursuit son auto-analyse, et le décryptage des symptômes de ses malades s'enrichit des observations qu'il tire de l'analyse de ses propres rêves. Comme le rêve, le symptôme de conversion est un mode de réalisation du désir ; il subit les mêmes transformations que l'imagerie onirique (condensation, déplacement, interversion, identifications multiples). La découverte de la sexualité infantile permet enfin à Freud de repérer le conflit nucléaire de la névrose hystérique, c'est-à-dire l'impossibilité rencontrée par le sujet de liquider le complexe d'Œdipe et d'éviter l'angoisse de castration. Ainsi se met en place une théorie cohérente de la conversion hystérique, qui fait du symptôme une réalisation déguisée du désir, explique pourquoi cette réalisation substitutive, est souvent représentée par la mise « hors service » de la partie du corps qui justement aurait pu servir à la satisfaction du désir, explique aussi la tolérance au symptôme et l'absence d'angoisse.
Freud ne fut jamais entièrement satisfait de son élaboration théorique de l'hystérie ; bien des points lui semblaient obscurs dans le phénomène de conversion. Pour expliquer le passage direct du psychique au somatique, il invoquait « la complicité du corps », la conversion ne pouvant se produire que s'il y a conjonction entre dispositions corporelles et conflit psychique.
4. Personnalité hystérique
On appelle personnalité hystérique un type de personnalité caractérisée cliniquement par les traits suivants : égocentrisme, histrionisme, labilité émotionnelle, pauvreté et facticité des affects, érotisation des rapports sociaux, frigidité sexuelle, dépendance affective.
L'histrionisme est le trait qui frappe dès l'abord ; tout est mis en œuvre pour attirer l'attention, plaire et séduire. L'hystérique ne craint rien davantage que de passer inaperçue et, dans son besoin de paraître, utilise les procédés et artifices habituels au monde du spectacle. Afficher un personnage, jouer un rôle, répond pour l'hystérique à une nécessité impérieuse, celle d'éviter une rencontre authentique avec autrui. Derrière les déguisements qui la masquent, à travers la multiplicité des personnages qu'elle emprunte, la personne de l'hystérique ne se laisse pas connaître. C'est parce qu'elle n'a pu se forger une histoire qui lui soit authentiquement personnelle, ni une identité qui lui soit propre que l'hystérique est amenée à vivre par substitution l'existence d'autrui. Rien n'est pire pour l'hystérique que la rupture de cette relation à l'autre de laquelle lui vient le sentiment d'existence : elle est alors renvoyée à une solitude insupportable dont elle cherche à se sortir en s'engageant dans une nouvelle relation aussi totalement et aussi frénétiquement que dans la précédente. Cela explique l'impression de versatilité et d'insincérité qu'elle donne généralement, encore qu'elle proteste de l'authenticité de ses sentiments, et, dans l'instant, elle a raison.
Le comportement de séduction qui caractérise la femme hystérique lui donne une valorisation narcissique permanente tout en lui permettant de se maintenir à distance. Elle affiche une hyperféminité qui lui permet de se cacher à elle-même et de dissimuler à autrui son absence réelle de féminité, son refus profond d'être une femme. Les attitudes de coquetterie, les invites, autant de feintes propres à dérouter « l'adversaire » que laisse désarçonné un retrait ou une fuite dont elle se glorifie. « Qu'elle nie en bloc tout besoin de l'homme, ou qu'elle démontre dans un couple pathologique l'incapacité de son partenaire à la faire jouir, l'hystérique se présente comme celle qui sera toujours « déçue », qui contestera toujours à l'homme sa capacité de la combler, c'est-à-dire sa virilité » (Israël et Gurfein).
C'est essentiellement contre la peur de la castration que sont orientés les mécanismes de défense dont le plus fondamental est ici le refoulement. Les difficultés de résolution du complexe d'Œdipe ont laissé une ambiguïté dans l'identification au père ou à la mère. Les tendances à l'identification féminine chez l'homme, à l'identification masculine chez la femme, sont fortement refoulées, mais restent très actives, entraînant les troubles constants de la sexualité.
Sans pouvoir élucider complètement les relations existant entre symptômes hystériques et personnalité hystérique, on peut affirmer qu'il existe une certaine concordance entre les deux, mais non une superposition absolue. On trouve des personnalités hystériques chez qui la somatisation est modérée ou transitoire, restant du domaine de l'asthénie, des algies, des céphalées ; les troubles du caractère et de la sexualité domineront la scène. À l'inverse on observe des accidents de conversion hystérique chez des sujets n'ayant pas une personnalité hystérique de base ; les faits de guerre, les épidémies d'hystérie sont là pour le démontrer. En outre, les études de Chodoff, de Stephens, de Ljungberg mettent en évidence l'existence fréquente chez les hystériques de conversion d'un autre type de personnalité, la personnalité passive dépendante, psycho-infantile, assez proche de la personnalité orale des psychanalystes.
5. Frontières de l'hystérie
Hystérie et simulation
L'opposition entre simulation et hystérie n'est pas toujours admise, mais si l'on considère l'hystérique comme un simulateur, il faut bien admettre qu'il n'est pas un simulateur comme les autres. Assurément son insincérité est plus ou moins consciente mais comment parler de mensonge chez un être pour qui la réalité n'existe guère. Son absence d'insight, son manque de pénétration psychologique vis-à-vis des autres rendent compte de la puérilité de ses subterfuges, de son étonnement enfantin lorsqu'il est démasqué. Mais par une sorte d'érotisation de l'imaginaire, le simulacre et le jeu peuvent devenir source d'un plaisir qui n'est pas sans perversité...
Pathologie cérébrale organique
Certaines affections cérébrales ont avec l'hystérie une évidente parenté d'expression et peuvent donner lieu à des manifestations d'allure hystériforme. C'est ainsi qu'une épilepsie psychomotrice peut être prise à tort pour une crise d'hystérie (il semble que ce fut le cas pour un certain nombre des malades de Charcot) et inversement qu'un épileptique peut utiliser sa maladie à des fins névrotiques et joindre à ses crises comitiales des manifestations hystériques. C'est peut-être avec les atteintes infectieuses ou toxiques de la base du cerveau que l'on observe les crises excito-motrices les plus proches de l'expressivité hystérique, mais s'il y a analogie clinique superficielle, il n'y a ni finalité inconsciente ni utilisation secondaire.
Hystérie de conversion et hystérie d'angoisse
Sous le terme hystérie d'angoisse, Freud isola une variété particulière de névrose dont le symptôme central est la phobie ; il en souligna la similitude structurale avec l'hystérie de conversion. En effet, dans l'un et l'autre cas l'action du refoulement tend essentiellement à séparer l'affect de la représentation. Cependant, Freud souligna une différence fondamentale : dans l'hystérie d'angoisse, « la libido que le refoulement a détachée du matériel pathogène n'est pas convertie... mais libérée sous forme d'angoisse ». Le déplacement de l'angoisse sur un objet extérieur (agoraphobie, phobie d'animaux) est secondaire au surgissement d'une angoisse libre, non liée à un objet.
Expression émotionnelle
Ainsi que l'ont fait remarquer H. Ey, P. Bernard et C. Brisset, « le contenu manifeste de l'hystérie est une exagération pathologique de certains modes normaux d'expression. À tout un chacun, la peur « coupe la voix ou les jambes », l'attention concentrée nous rend « insensibles à la douleur » ou à certaines perceptions, nous « oublions » certaines réalités qui nous gênent ; la joie, la peur ou la colère « nous font » danser, crier, rougir ou blêmir, serrer les poings, le dégoût nous donne la nausée, etc. Ce sont là des manifestations non verbales de l'émotion. L'hystérique parle ce « langage des organes » avec une éloquence toute spéciale. Il vit les métaphores au lieu de les parler, et c'est là l'essentiel du phénomène de conversion somatique. »
Expression psychosomatique
Faut-il avec F. Alexander séparer radicalement le domaine de l'hystérie de celui de la névrose d'organes ? Il semble préférable d'y voir une différence plus quantitative que qualitative. L'expression somatique de l'affect reste dans l'hystérie facilement déchiffrable quoique symbolique, ce qui n'est pas le cas dans la pathologie psychosomatique. La conversion psychosomatique est beaucoup plus profonde que la conversion hystérique ; elle comporte une atteinte lésionnelle au niveau tissulaire (par exemple un ulcère d'estomac, un infarctus du myocarde), alors que le symptôme hystérique est souvent mobile, toujours réversible, jamais authentifié. Cependant, certains faits psychosomatiques sont bien proches des réactions hystériques, et il existe une grande similitude entre la personnalité hystérique et la personnalité de certains psychosomatiques comme les allergiques.
Qu'il y ait des particularités neurobiologiques dans l'organisation de la personne hystérique, cela paraît une évidence. Il y a eu des recherches dans ce domaine, inspirées généralement des théories pavloviennes et utilisant les techniques de conditionnement. Les résultats en sont encore fragmentaires et contradictoires, les extrapolations souvent hasardeuses. On peut cependant entrevoir dès maintenant un apport possible de la psychologie expérimentale et de la neurophysiologie au problème de l'hystérie. De là viendront peut-être des éclaircissements sur ce qui entrave au départ la formation des processus symboliques et par là même rend l'hystérique incapable de maîtriser son imaginaire.
Thérèse LEMPÉRIÈRE
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2006-09-09 21:20:52
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