Nous n'avons pas du tout la même définition de la démocratie !
L’ivoirité, fondement de la crise ivoirienne.
Lorsque Houphouët-Boigny meurt, vieux et fatigué, les observateurs se demandent qui va prendre la suite du patriarche, du premier Ministre, Alassane Drammane Ouattara ou du président de l’Assemblée Nationale, Henri Conan Bédié, dont la constitution prévoit la prééminence. Le suspens est en fait de courte durée, puisque ce dernier surgit à la télévision pour proclamer son pouvoir et demander au peuple " de reconnaître sa présidence et en conséquence, de se mettre à son service " !
Président faible d’un pays engoncé dans une crise économique d’autant plus cuisante que naguère se déroulait une époque plus florissante, Henri Conan Bédié met vite en avant le concept " d’ivoirité ", désignant les allogènes comme la cause de toutes les difficultés de la Côte d’Ivoire. Il vise ainsi d’une part à répondre politiquement à la crise économique qui sévit par la version locale de la préférence nationale, et d’autre part, à disqualifier certains de ses plus dangereux adversaires politiques : dès 1994 le secrétaire général du Rassemblement Des Républicains (RDR) que vient de fonder Ouattara est " accusé " d’être ghanéen.
Le pouvoir s’affaiblit malgré tout et quand le général Gueï (ancien chef d’Etat Major d’Houphouët) organise à la fin de l’année 1999 le coup d’état dépose Bédié, c’est dans la liesse que l’immense majorité de la population accueille cette " libération ". Un gouvernement d’union nationale rassemble alors notamment les partisans de Gueï, le Front Patriotique Ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, historique opposant " socialiste " et le RDR d’Alassane Ouattara, considéré comme plus " libéral ".
Il faut bien vite déchanter, et Gueï, prenant goût au pouvoir, guigne une présidence plus présentable, à la suite d’élections suffisamment démocratiques pour être acceptables par son peuple et par la communauté internationale. Dès lors, il reprend le flambeau de " l’ivoirité ", pour mieux asseoir son pouvoir grâce à la division. Le gouvernement d’union nationale fondé au début de l’année 2000 vole en éclats à l’approche des élections présidentielles où plusieurs candidats majeurs se voyaient mis hors-jeu par une nouvelle constitution.
C’est là que Laurent Gbagbo manipule Gueï avec habileté. Il cautionne avec son parti l’exclusion des autres candidats (celle de Ouattara, mais aussi du candidat de l’ex-parti unique d’Houphouët, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire - PDCI, que le général espère récupérer à son compte), favorisant un face à face dont chacun était persuadé de sortir vainqueur.
En octobre 2000, les élections se déroulent dans la précipitation, avec une participation dérisoire. Gueï préfère dans la foulée dissoudre la commission électorale, proclamer des résultats invraisemblables qui le désignent comme victorieux, avant de céder devant des manifestations de rue et d’accepter le tortueux triomphe de Laurent Gbagbo, avec nettement moins d’un million de voix pour 30 millions d’habitants.
À l’époque, le secrétaire général des Nations-Unies, le président de l’Afrique du Sud, le Département d’Etat américain, avec de nombreux autres diplomates et responsables d’ONG multiplièrent les observations critiques devant un processus aussi mal bâti (la France préférant cautionner le nouveau pouvoir…, l’Elysée comme Matignon cherchant avant tout à ne pas être dépassés par l’autre tête de l’exécutif sur la question ivoirienne).
Moins de six mois après, les urnes montrent la fragilité du président (mal) élu, quand le Rassemblement des Républicains (RDR) d’Alassane Ouattara, exclu de la compétition présidentielle, gagne très nettement les élections municipales, non seulement dans le Nord, mais à vrai dire sur tout le territoire, jusqu’à la propre ville natale de Laurent Gbagbo.
Opportuniste ou cynique, ce dernier enfonce le clou. L’ivoirité est poussée à son comble, il faut pour toute la population refaire une carte d’identité, différente dans sa couleur selon la région ou le peuple dont vous êtes originaire, et qui s’avère bien sûr plus difficile à obtenir dans les zones les moins favorables au pouvoir. En quelques mois, 3 millions d’électeurs sont rayés des listes ; les élections " départementales " peuvent alors se dérouler, le FPI de Gbagbo réussissant cette fois à faire presque aussi bien que l’historique PDCI, symbole désormais de la nostalgie des belles années d’Houphouët.
De plus, ce pouvoir faible tend à la violence, des milices s’organisent, des escadrons de la mort surgissent, intervenant aussi bien dans le pays qu’à l’étranger (cf. l’affaire Keita au Burkina), la rumeur voulant que la propre femme du président joue un rôle essentiel dans ce processus.
Le 19 septembre 2002, une rébellion apparaît, prend vite de l’ampleur dans le Nord du pays. Ce qui semble au début un coup militaire, motivé par des questions de soldes et de statuts, est en fait une opération politique bien pensée. Très vite, le Mouvement Patriotique pour la Côte d’Ivoire (MPCI) surgit comme parti de la rébellion, porteur de sa parole politique, prétendant à l’autorité sur les forces militaires en mouvement.
À sa tête est porté Guillaume Soro, ancien leader étudiant, alors cadre du FPI, qui l’a quitté quand Gbagbo a préféré soutenir Gueï et l’ivoirité, contre Ouattara, son allié dans l’opposition démocratique. Le coordinateur des relations extérieurs du MPCI n’est autre que Louis Dacoury-Tabley, ancien secrétaire général adjoint du FPI, ami d’enfance de Gbagbo, qui s’en est éloigné à la même époque que Soro. Dans une Côte d’Ivoire qui découvre la militarisation des conflits politiques, on voit que les questions sociales (Soro et Gbagbo " à gauche ", Bédié et Ouattara " à droite "), sont complètement marginalisées.
C’est l’ivoirité est devenu le premier des clivages. Soro et Ouattara la combattent, Bédié et Gbagbo la défendent. Il importe enfin de nuancer tout ce qui conduit à simplifier sans subtilité la crise en un conflit éthnico-religieux. Soro est sénoufo, et catholique, ce qui le rend 2 fois marginal dans son Nord d’élection.
Dacoury-Tabley est quant à lui Bété, comme Gbagbo qu’il combat. Pourtant, ce sont eux qui dirigent aujourd’hui un mouvement abusivement qualifié ethniquement.
2006-08-03 03:48:43
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answer #1
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answered by Anonymous
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