Des débats intéressants apparaissent en ce moment, en particulier dans le mouvement libertaire à propos de la lutte anti-patriarcale, du féminisme radical et libertaire, démontrant le caractère vivant de la pensée anarchiste, capable d'investir le réel, de le penser pour le subvertir et le transformer. Quoi de plus réel que le quotidien et dans ce quotidien, les rapports établis entre hommes et femmes.Dans la société où nous vivons, ces rapports sont complètement déterminés par le système patriarcal qui réduit les femmes à un rang d'infériorité, et assure la prédominance des hommes. Il serait vain de nier que cette idéologie nous influence tous, le nier serait en fait y être le plus sournoisement soumis: inconsciemment.Les principales victimes du système patriarcal sont naturellement les femmes qui vivent une oppression que ne connaissent pas les hommes : viols, harcellements sexuels, emplois subalternes, etcsont le lot des femmes. Cette oppression rend complètement légitime le combat féministe, une lutte menée par les femme de manière autonome. En effet, victimes du patriarcat, les femmes ne peuvent que définir seules le contenu de leur lutte, ce n'est pas aux hommes qui bénéficient du système à se mêler de ce que doit être le féminisme.
Cette conception d'un mouvement social reconnaît donc pleinement aux femmes, le droit à s'auto-organiser, c'est à dire à s'organiser dans des groupes non-mixtes, sans les hommes. Cette revendication paraît tellement légitime qu'il est surprenant qu'elle fasse encore débat dans le mouvement libertaire, à moins de considérer, et les féministes radicales ont raison de le dire, que le phallocratisme à encore de beaux jours parmi nous !
Les femmes sont oppressées par le patriarcat, mais les hommes en sont-ils complètement les bénéficiaires ?
Si la pensée libertaire était une pure idéologie uniquement soucieuse de plier le réel à son contenu, on pourrait répondre par l'affirmative, mais ce serait faire fi de la réalité dialectique des choses.
Comment expliquer dès lors que des hommes soutiennent le combat féministe , puisqu'ils auraient tout intérêt à s'y opposer ? La constitution d'un réseau européen des hommes pro-féministes est à cet égard significative. Bien que très minoritaire parmi les hommes, ce courant existe et il faut bien tenter de l'expliquer.
Si l'on suppose que les hommes sont complètement bénéficiaires du patriarcat et que certains d'entre eux combattent ce système , deux explications seulement sont possibles :
Ces hommes sont consciemment ou inconsciemment ( dans le milieu libertaire ce ne pourrait qu'être le cas) poussé par un réflexe paternaliste équivalent à celui qui amena certains patrons, au siècle dernier, à apporter un léger mieux être matériel à leurs ouvriers, pour mieux contenir leurs luttes.
Leur sentiment de culpabilité, auquel nul n'échappe ( 2000 ans d'éducation chrétienne y pourvoient largement ) les amène à prendre partie pour leurs victimes.
Or ni le paternalisme, ni la culpabilité n'ont jamais été des ferments révolutionnaires ! Un mouvement social de lutte contre une idéologie et un système ne saurait se fonder sur ces ressorts. Il ne saurait exister d'engagement de lutte qui ne soit pas guidé par l'intérêt, y compris personnel, des individus qui le composent. Cette affirmation paraît être une telle évidence, en particulier pour les femmes qui s'engagent dans le féminisme qu'il convient tout de même de la formuler, car elle ne s'appliquerait pas aux hommes qui combattraient le patriarcat !
Le patriarcat oppresse les femmes et aliène les hommes
En fait si des hommes s'engagent dans la lutte anti-patriarcale, c'est qu'ils y ont un intérêt propre, c'est qu'ils sont soumis à une système et une idéologie qu'ils refusent, non par culpabilité ou par soutien aux "pauvres" opprimées, mais parce qu'ils en sont aussi les victimes, sur un plan différent des femmes.
Car le patriarcat n'est pas sans effet sur les hommes, si les stéréotypes s'imposent aux femmes, ils ne s'imposent pas moins aux hommes qui ne s'y reconnaissent pas forcément, loin de là !
La patriarcat impose aux individus des moules sociaux dans lesquels les individus hommes ou femmes doivent se couler, faute de quoi, chacun risque le rejet ou la marginalisation. Ce phénomène est bien connu, les gays et lesbiennes en ont subi et subissent les conséquences.
Mais une facette de la question est peu abordée, il s'agit du moule social que le patriarcat impose aux hommes : image du battant qui réussit ( au niveau social ), du phallocrate, du sportif, du mec qui assure, de celui qui n'exprime pas ses émotions, qui ne pleure pas. La liste serait longue, il ne s'agit pas bien sûr de faire passer les hommes pour des victimes, mais de dire que le patriarcat aliène les hommes, parce qu'il les empêche d'être complètement eux-mêmes. Cette raison semble fondamentale pour expliquer que des hommes puissent refuser le patriarcat, ce qui ne veut naturellement pas dire qu'ils soient étrangers à tout réflexe patriarcal.
Un ressort très profond et souvent inconscient amène des hommes à lutter contre le patriarcat, car ce système les ampute d'une partie d'eux même, s'ils veulent en respecter les codes.
Les individus sont à la fois féminin et masculin
Chaque être humain dispose à la naissance d'un sexe qui le fait homme ou femme, d'un point de vue social, cet acquis n'est pas toujours accepté par les uns ou les autres dont le sexe intérieur ne coïncide pas toujours avec le sexe biologique.
Mais tout être humain se compose d'une dimension masculine et féminine intérieure, nous sommes tous la résultante d'un compromis entre ces deux sexes intérieurs. La société et le patriarcat nous obligent à occulter voir refouler notre sexe intérieur qui ne s'accorde pas avec notre sexe biologique, mais acceptant ce conditionnement, nous nous amputons d'une partie de nous-même. Cette partie masculine ou féminine que nous refoulons nous la projetons ensuite sur nos partenaires sexuels, provoquant ainsi d'innombrables problèmes, l'autre ne correspondant jamais à l'image intérieure de notre autre sexe.
La psychologie ( Jung en particulier ) et les mythes anciens de l'androgyne issus de cultures anciennes ( Grèce par exemple : "le banquet" de Platon )ou de philosophies orientales (taoïsme chinois du ying et du yang, tantrisme indien ) démontrent que cette conception duale de l'être humain remonte à la nuit des temps, bien avant que le patriarcat ne nous ai imposé son modèle réducteur.
Toutes ces conceptions convergent pour expliquer que nous sommes composés de proportions variables d'archétypes masculins et féminins qui ne sont eux-mêmes que la condensation des expériences masculines et féminines de toutes les générations qui nous ont précédées.
Des types masculins et féminins ont ainsi été définis, agglomérations des qualités de chaque sexe. Il serait absurde de vouloir comparer ces types, pour dire que l'un des deux sexes serait supérieur à l'autre. Ainsi de la passivité qui serait l'apanage du féminin et considéré comme un "défaut", faisant des femmes des êtres soumises aux hommes. Le taoïsme, à travers son concept fondamental du "wu-vei" ou passivité active à remis en valeur et même mis au centre de sa démarche cette forme de passivité issue de l'archétype féminin et devenue une sorte de symbole de la virilité.
Ainsi chacun se composant de part variables de masculin ou de féminin qu'il fait jouer selon les circonstances ou selon ses inclinations, les notions de supériorité ou de domination d'un sexe sur l'autre perdent tout leur sens.
Cette bi-sexualité intérieure ne doit pas être confondue avec la bi-sexualité, telle qu'on l'entend aujourd'hui. En effet on désigne maintenant par bisexuels des personnes ayant des relations sexuelles avec des individus de l'un et l'autre sexe. Or la bi-sexualité intérieure n'a rien à voir avec cette conception de la sexualité ( par ailleurs parfaitement logique pour ceux qui la ressentent ) : on peut être bisexuel intérieurement, c'est à dire accepter son côté féminin et masculin et être sexuellement hétérosexuel.
Pour les hommes, le patriarcat exerce un contrôle très strict sur les comportements : un homme qui se laisserait aller à son côté féminin ( exprimer ses émotions, éprouver de la tendresse, aimer faire jouer une certaine passivité au plan sexuel ) serait considéré non plus comme un homme, mais comme une femme.
Pour une subversion de l'hétérosexualité
L'oppression dont fût ( est ) victime le mouvement gay et lesbien, le rôle et l'influence que ces mouvements ont pu avoir sur le féminisme ont conduit à une critique radicale et justifiée de l'hétérosexualité comme modèle dominant des rapports sexuels dans le système patriarcal. Mais les critiques homosexuelles, non dénuées d'arrières pensées, ont assimilé l'hétérosexualité au patriarcat. Or l'hétérosexualité n'est pas intrinsèquement oppressive, pas plus que les hommes ne seraient génétiquement des oppresseurs. Le modèle hétérosexuel qui nous gouverne est complètement sous influence patriarcale, mais il n'est historiquement pas le seul. D'autre conceptions ont existé à d'autre époques qui ne faisaient aucune référence à ce modèle que nous croyons unique : ainsi "l'asag" des troubadours influencé par la camaraderie et la sexualité lesbienne ou la sexualité taoïste et tantriste.
L'hétérosexualité telle que nous la concevons actuellement repose sur des rôles complètement figés et stéréotypés dont il est pratiquement impossible de sortir. Cette situation est la cause de tant de maux qu'il est inutile d'insister ( impuissance dont le Viagra souligne l'ampleur du problème , la frigidité étant l'autre côté de la médaille ).
La tâche est immense et difficile, pour tous ceux et celles qui voudraient construire un nouveau modèle, non oppresseur d'hétérosexualité, mais nous n'avons pas le choix si nous voulons nous débarrasser un jour du patriarcat qui trouve son principal soutien dans nos têtes et nos comportements.
Dans le domaine des sentiments et de l'amour, ces nouveaux rapports devraient se baser non plus sur l'amour-passion, modèle universel qui nous est actuellement présenté comme unique solution. Ce sentiment qui nous fait projeter à travers l'autre notre manque existentiel, la part de l'autre sexe que nous ne voulons pas reconnaître en nous même, peut mener aux pires extrémités et représente certainement le contraire de ce qu'il prétend être : il n'est au fond qu'une négation de l'autre, dans sa spécificité.
Nous devons certainement rechercher de nouvelles perspectives du côté des sentiers non balisés qu'ont tracé pour nous les anarchistes individualistes, Libertad, Armand plus particulièrement qui a poussé le plus loin les investigations dans ce domaine, débouchant sur quelques impasses. La "camaraderie amoureuse" pourrait être ce nouveau modèle de relation hétérosexuelle que nous pourrions promouvoir comme alternative anti-patriarcale. En y donnant un contenu différent de celui proposé par Armand qui n'y voyait qu'un contrat entre individus libres, mais devant accepter automatiquement de le pratiquer avec tous ceux ayant les mêmes conceptions. C'était faire fi des affinités, des attirances et des désirs entre individus: il ne suffit pas d'avoir les mêmes idées pour être attiré par un(e) autre et avoir des relations sexuelles. Par contre le sentiment éprouvé dans la camaraderie amoureuse : l'amitié réciproque et le la reconnaissance de l'autre pour ce qu'il est réellement, offre une base bien plus solide que l'amour. Cette amitié nécessite de bien connaître l'autre et de l'accepter dans sa diversité.
Au niveau sexuel, la camaraderie amoureuse, permettrait une ouverture sur une relation non plus figée dans des rôles stéréotypés, mais où les deux partenaires pourraient exprimer leur entière personnalité, où chacun pourrait laisser, tour à tour, libre cour à son côté féminin ou masculin. Cette nouvelle hétérosexualité devrait certainement s'inspirer, pour une part, des relations pouvant exister dans l'amour lesbien, resté certainement du fait de son caractère même, l'un des rapports les moins touchés par l'idéologie patriarcale.
Il ne saurait exister de modèle sexuel "révolutionnaire" par essence, même si les gays et les lesbiennes subissent un ostracisme certain de la part du système patriarcal, on ne devient pas gay ou lesbienne par idéologie politique, le désir ne saurait se réduire à des conceptions intellectuelles , même libertaires ou féministes. Nous devons chacun, à partir de ce que nous sommes, tenter de modifier dans un sens libertaire les rapports existants entre nous .
Les hommes, c'est vrai on un travail énorme à faire pour aller dans ce sens.
Pour un masculin anti-patriarcal
Il paraît essentiel pour les hommes de pouvoir discuter entre eux de ces questions, sans les femmes, dans des structures non mixtes, évitant ainsi les rapports de séduction, inévitables en cas contraire.
Les discussions visant à la constitution d'un mouvement des hommes pro-féministes paraissent particulièrement intéressantes, mais l'appellation elle-même pose problème car elle semble impliquer une subordination au mouvement féministe.
Tout d'abord, de quel féminisme s'agit-il ? Le féminisme est heureusement divers, de quel pro-féminisme les hommes pourraient-ils se revendiquer ?
D'autre part, il ne saurait exister de mouvement émancipateur, et la lutte contre le patriarcat en est un, qui puisse se situer dans la soumission par rapport à un autre. Chaque mouvement doit définir ses propres objectifs. Pas plus que nous n'avons de leçons de féminisme à donner aux femmes, pas plus les femmes n'ont à nous dire ce que nous devrions faire.
Le féminisme a naturellement son rôle à jouer dans la dénonciation des comportements masculins déterminés par le système patriarcal et dont elles sont victimes.
2006-07-27 18:53:56
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answer #8
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answered by Le Renard ! 4
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